A dévorer !

« Cape May », Chip Cheek : vive les mariés ?

Effie et Henry ont à peine vingt ans et ils viennent tout juste de se marier. Pour célébrer leur union, il a été décidé que le couple passerait sa lune de miel dans la station balnéaire de Cape May, sur la côte Est des États-Unis.

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En cette arrière-saison automnale de 1957, après s’être vertueusement respectés jusqu’au mariage, c’est l’occasion pour Effie et Henry, qui se connaissent depuis l’enfance, de se découvrir plus intimement et de profiter, enfin, des plaisirs de la chair en toute légitimité.

« Jusqu’à cet après-midi, du moins pour ce qu’en savait Henry, ils étaient tous les deux puceaux. » (p.12)

Entre leurs ébats, timides au début puis progressivement plus hardis, et de nombreuses promenades, le quotidien de la lune de miel du jeune couple s’avère quelque peu monotone et très tranquille. Trop tranquille.

Or, un jour, à quelques maisons de leur pavillon de résidence nuptiale, Effie et Henry perçoivent de l’agitation : plusieurs voitures garées, de joyeux éclats de voix, de la musique… Intrigués, les jeunes gens s’en approchent et découvrent qu’il s’agit de la maison de Clara, l’amie d’enfance de la cousine d’Effie. La jeune mariée n’est guère enthousiasmée par cette rencontre, ne gardant en mémoire que de piètres souvenirs de Clara. Néanmoins, lorsque cette dernière invite les mariés à se joindre à eux, ils acceptent.

Au début, quelque peu timorés, Effie et Henry peinent à se laisser aller. Il faut dire que Clara aime qu’il y ait du monde, de la vie, de la musique. Et surtout une bonne rasade d’alcool pour désinhiber tout son petit monde. Malgré tout, les mariés se laissent séduire et bientôt, ils ne passent plus une seule journée sans Clara, son amant Max et la demi-sœur de ce dernier, la fougueuse Alma, laquelle ne laisse scandaleusement pas de marbre le jeune époux Henry…

« Henry paraissait voir la vie à travers un filtre qui rendait tout autour de lui doux, charmant et désirable. Il se sentait ouvert et sans contrainte. » (p.125-126)

Entre les balades en mer et les soirées copieusement arrosées, Effie et Henry gagnent en hardiesse et, sous l’influence de Clara, le groupe n’hésite pas à tester les limites des convenances et à dépasser les limites de la bienséance. La ligne rouge n’est pas loin, et le danger, proche, n’est peut-être pas celui que l’on croit…

« Les seuls responsables étaient Clara, Max et Alma, qui les avaient entraînés dans leur manège et plongés dans la confusion. » (p.351)

La lune de miel se parerait-elle de douloureuses piqures ?

« Il était au sommet d’une colline d’où il voyait son passé, son présent et tous les futurs possibles, chaque éventualité lui semblant tout aussi envisageable parce qu’il n’en avait encore choisi aucune. » (p.182)


Cape May est un roman qui, en 1957, passerait, pour son contenu, comme amoral. De fait, nous avons le récit initiatique d’un jeune couple qui a tout à découvrir de lui-même et qui chaque jour apprend à vivre ensemble, dans l’intimité la plus absolue et la plus convenue. Or, la tentation apparaît à peine le mariage consommé… Voilà une thématique scandaleusement sulfureuse, qui questionne la dualité inhérente à toute relation maritale : vaut-il mieux un amour tendre et sagement affectueux ou à l’inverse un feu passionnel qui balaie la raison ?

Cape May propose, de manière plus générale, une réflexion sur le mariage et les codes de bienséance en détournant ces derniers : Clara n’est-elle pas mariée à un homme plus vieux qu’elle trompe allègrement ?

« Ce n’est pas si bizarre. Richard et moi avons un arrangement. Je ne veux pas dire que nous en parlons ouvertement, vous comprenez, mais – mais non, bien sûr, vous n’avez aucune raison de comprendre, vous êtes si jeunes et si charmants. Il existe plusieurs sortes de mariage. Le bonheur n’est pas le même pour tous les couples. » (p.116)

Henry n’est-il pas attiré par une autre femme que sa propre épouse, le mariage à peine célébré ? Serait-ce une proposition narrative de faire éclater les carcans maritaux de l’époque pour mieux célébrer les potentialités de l’amour, peut-être jamais figé dans une relation, aussi officiellement établie qu’elle le soit ?

« Le désir engendrait le désir. Il avait envie de baiser la terre entière. Il devenait fou. » (p.260)

Lecteurs, le roman de Chip Cheek se dévore. Faites fi des convenances car ces dernières sont progressivement balayées au fur et à mesure que le cercle amical (ou amoureux ?) des cinq se resserre. Et surtout, soyez prêts à vous questionner une fois le livre refermé : en faveur de quoi plaideriez-vous, la passion ou la raison ?


Cape May, Chip CHEEK, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, éditions Stock, 2019, 366 pages, 22€.

 

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