
Nous sommes en 1993. Sylvie doit quitter Londres avec sa fille Emma pour rejoindre, en catastrophe, La Rêverie, propriété de famille dont elle a hérité dans le Sud de la France. Un petit incendie vite maîtrisé a justifié son rappel. C’est l’occasion aussi, pour elle, d’envisager la vente de la maison, vestige de son enfance heureuse mais souvenir douloureux d’un passé familial récent.
« Je me demande si c’est ce que je vais désormais vivre : la descente inexorable dans le passé, mes années anglaises qui s’estompent avant de disparaître à l’horizon. » (p.27)
En effet, dans les années 70, son mari Greg et elle ont accueilli leur première fille, Élodie. Le bonheur de la maternité est vite troublé par le comportement du bébé : impassible, froide, Élodie semble de marbre à l’affection de sa mère. Elle grandit, et les signes d’une certaine déviance deviennent évidents : elle saccage volontairement les affaires de sa mère, dessine des personnages en prise à des tourments effroyables, se complaît à faire souffrir ses petits camarades de classe. Greg reste aveugle aux faits, et la tension dans le couple grandit, le fossé se creuse. Élodie manipule à l’envi son père et, en grandissant, tous les hommes autour d’elle, fascinés par sa beauté.
« Elle avait toujours maîtrisé cet art de l’énigme. Rien n’était jamais évident avec elle. (p.298)
Lorsque sa petite sœur Emma naît, Sylvie espère une accalmie. Mais c’est avec effroi qu’elle accumule les preuves de l’envie d’Élodie de tuer sa sœur. Le quotidien devient une lutte silencieuse entre la mère et la fille, tandis que Greg prend clairement parti pour son aînée. Jusqu’à l’incident de trop, en 1983.
« Je sens à quel point il serait facile de vous perdre toutes les deux. J’en ai déjà été si proche. » (p.285)
« Le choix, tel que je le conçois, est cornélien : une fille ou l’autre. Et même si, à bien des égards, il me brise le cœur, maintenant que je suis au pied du mur, ce n’est même plus un choix. » (p.350)
Dix ans plus tard, le couple a divorcé. Greg a refait sa vie à Paris, tandis que Sylvie et Emma ont tenté d’oublier le passé à Londres. Élodie ? Aucune nouvelle. Emma a pour idée que sa sœur est morte, idée non démentie par sa mère, alors que la vérité est autre.
Mais lors de leur retour à La Rêverie, alors que les feux de forêt commencent à entourer le domaine, c’est une autre menace qui rôde : celle d’un passé réactualisé en un présent inédit.
« Si Elodie est devenue un fantôme avec les années, les événements semblent maintenant conspirer pour la rendre de nouveau réelle […]. Cela semble absurde, tiré d’un conte gothique, mais ces révélations paraissent consolider une à une son pouvoir. Comme si, quelque part, elle rassemblait ses forces. » (p.162)
Sylvie pourra-t-elle, sur les terres de son enfance et de son passé, se réconcilier avec le fantôme de sa fille ? Les menaces du passé survivent-elles aux années ?
« L’endroit empeste le passé : toutes ces années avec Élodie et aussi mes années d’enfance. » (p.88)
Dans un page-turner redoutable, Kate Riordan questionne le couple et la maternité, notamment lorsque les rapports entre enfants et parents sont difficiles. De fait, Sylvie éprouve un amour absolu pour son aînée, mais la peur et la colère nourrissent en elle un feu ennemi. On assiste au désarroi d’une mère qui ne comprend pas les déviances de son enfant, qui hurle de l’absence de solidarité de son mari, qui tremble à l’idée que sa cadette puisse être la victime de la malveillance de l’aînée.
« Mère et fille, adulte et enfant, mais aussi égales, à jamais dressées l’une contre l’autre. » (p.293)
Les chapitres alternent entre 1993 et les années depuis la rencontre de Greg et Sylvie ainsi que de la naissance d’Élodie. L’occasion de créer une tension efficace au-fur-et-à-mesure que les indices de l’esprit mauvais de l’enfant se font de plus en plus dramatiques. Peut-on aimer son enfant malgré ses actes répréhensibles ? Peut-on tout lui pardonner ? Que faire quand l’enfant devient une menace ? Comment éviter le chaos ?
Le cadre étouffant du Sud, les feux de forêt environnants confèrent au récit une atmosphère brûlante propice aux drames.
On regrettera le cliché d’une mère de famille éclusant à la moindre occasion un verre de vin : tellement anglais… De même, une amorce d’idylle est envisagée, faisant craindre le spectre de la romance, mais l’écrivaine a plus d’un tour dans son sac et s’éloigne heureusement de topoï convenus.
Pour conclure, retenons que ce roman est idéal pour l’été, tant pour sa qualité narrative d’écriture que fictionnelle.
« Je me demande si l’accident suit déjà sa trajectoire, au ralenti pour l’instant, et si je saurai reconnaître l’ultime instant où nous devrons sauter pour l’éviter. » (p.239)
L’été où Élodie, Kate RIORDAN, traduit de l’anglais par Laurence Videloup et Géraldine d’Amico, éditions STOCK, 2022, 380 pages, 22.90€.
Le genre de roman qu’on ne peut lâcher ! Un de plus dans la PAL 😉 bon dimanche !
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Addictif, c’est le mot 😉 Belle semaine ! 🙂
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