A dévorer !

« Notre vie antérieure », Anne-Sophie Brasme : passé inspirant

Laure Narsan a tout de la petite oie blanche lorsqu’elle rencontre, par l’intermédiaire de son amie d’étude Anna, son frère Aurélien et son ami Bertier. Elle sort de deux années de prépa littéraire et s’apprête à entrer, sans grand enthousiasme et sans réelle motivation, à l’université. Tout au plus lui a-t-on connu une amourette sans grand éclat.

Mais lorsque le hasard met sur son chemin Aurélien et Bertier, la vie de Laure prend une autre dimension : auprès de Bertier, elle découvre les discussions passionnées et enflammées autour de la littérature, les échanges de livres à n’en plus finir et une fougue intellectuelle inédite. Auprès d’Aurélien, elle éprouve une attirance qu’elle n’ose s’avouer : lui, si beau, si charismatique et si fougueux, imprévisible et magnétique. Laure n’ose se dévoiler, tout simplement parce qu’elle ne se prétend pas du même niveau (social, intellectuel…) qu’Aurélien.

Et pourtant… Un séjour sur l’île d’Oléron pour les fiançailles d’Anna peut prétendre bousculer les choses, puisque les amis se retrouvent loin de leur microcosme parisien et de leurs habitudes. Mais peut-il faire basculer le trio vers autre chose et redistribuer les cartes ?

« Je n’avais pas réalisé que, quoi qu’il arrive, l’équilibre que nous avions atteint tous les trois cet été venait d’être rompu, et que nous ne pourrions le rétablir. » (p.67)

Quatre décennies plus tard, Laure se rappelle cet été-là. Elle qui est devenue une écrivaine de renom, mariée à un éditeur reconnu dans le milieu, elle pressent que le roman qu’elle s’apprête à écrire – le dernier de sa carrière – doit renouer avec les fantômes du passé, aussi douloureux et éprouvants soient-ils. Elle qui a toujours dirigé son quotidien avec une rigueur disciplinaire voire militaire fait face au craquèlement du carcan qu’elle a érigé autour d’elle depuis ce fameux été : une entreprise d’écriture cathartique pour retrouver ceux du passé et peut-être renouer avec celle qu’elle était.

« Chacun de mes livres m’a laissée à bout de forces, et souvent j’ai cru ne pas pouvoir recommencer – pourtant je l’ai fait. Avec toujours la même patience et la même énergie. J’écris comme j’accumule les longueurs à la piscine : je ne dévie pas de ma route ; je n’abandonne jamais. Chaque étape franchie me rend plus forte. » (p.12)

De nouveau je m’extasie sur le génie d’Anne-Sophie Brasme, que j’adule absolument. Ici, amour et amitié se confondent en un ballet délicat et tragique. Le motif du triangle amoureux y est traité avec sa propre originalité et le lecteur ne peut qu’être agréablement surpris par une astucieuse pirouette lors du dernier tiers du livre. Plus encore, l’écrivaine réfléchit à l’écriture : ses vertus (apaisantes – réconfortantes – guérisseuses) ; son modus operandi ; ses exigences et enfin son histoire, puisqu’en quarante ans de carrière le personnage de Laure porte un regard réflexif et critique sur son œuvre (et son passé) pour mieux la mettre à distance (le succès, les obligations, l’oubli, l’inspiration). Tout justement, Anne-Sophie Brasme propose un récit inspiré et inspirant, qui donnerait presque envie au lecteur de se jeter, à son tour, à corps perdu dans l’écriture, tant le pouvoir de la création, au prix d’un labeur certain, y est célébré. Nous noterons au passage quelques éléments récurrents et autobiographiques de sa propre histoire que le lecteur averti aura plaisir à reconnaître (le succès de la jeune romancière ; la perspective d’étudier pour devenir professeur peut-être par défaut…).

Anne-Sophie Brasme incarne la littérature et la fait vivre à travers ses œuvres : merci !

Notre vie antérieure, Anne-Sophie BRASME, éditions FAYARD, 2014, 156 pages, 15€.

2 réflexions au sujet de “« Notre vie antérieure », Anne-Sophie Brasme : passé inspirant”

Laisser un commentaire