
Lorsque Cécilia rencontre Abel, mystérieux et charismatique jeune homme, elle est de suite attirée par son charme. La réciproque se vérifie rapidement et la jeune étudiante, flattée d’être distinguée par celui qui s’impose comme un leader, se laisse littéralement cueillir par Abel et seulement quelques mois après leur rencontre le couple se marie.
Si, jusqu’aux noces, Cécilia et Abel irradiaient de réussite et d’amour aux yeux de leurs nombreux amis, le jeune marié décide, une fois le mariage scellé et leurs diplômes respectifs d’avocate et de banquier obtenus, de couper les liens avec ceux qu’il estime être des parasites pas vraiment accomplis dans la vie. Cécilia s’étonne : jusque-là, Abel se complaisait dans ce cercle amical, alors pourquoi ce revirement soudain ? Mais sans doute a-t-il raison, car tout ce que dit Abel est forcément juste, réfléchi, motivé.
Alors, lorsque le jeune homme commence à maudire ses beaux-parents et sa belle-famille en général, à vouloir établir de la distance avec eux pour mille et une raisons inventées, Cécilia tique à peine. Éperdument amoureuse, d’un amour qui frôle l’idolâtrie, la jeune avocate balaie d’un revers de main tout ce qui fut autrefois sa vie, pour mieux se plier aux désirs de son époux, et en particulier celui de fonder sa propre famille. Et puis, elle a bien vu, à ses dépens, qu’oser s’opposer à Abel s’avère cuisant : une gifle, le silence, les assiettes qui cassent ou qui volent… Ascendant, on a bien dit ascendant ?
« A la première gifle, il faut partir. Et parfois il est déjà trop tard. C’est ce que j’ai appris, bien après. Mais l’emprise avait planté ses crocs dans la matière gélatineuse de mon cerveau, doucement, presque gentiment, implacable et irrémédiable, et n’allait plus me lâcher. » (p.49)
Et la mécanique de l’emprise psychologique de se mettre en place. Vous l’aurez compris, La Malentendue narre la lente descente aux enfers de Cécilia, depuis sa rencontre idyllique avec Abel à la lutte pour sa survie. Entre temps, il y aura la peur, les humiliations, la violence. Ponctuelles, puis quotidiennes. Guère de place pour la douceur, élan rare au cours duquel Abel offre un bijou à Cécilia pour se faire pardonner. Même s’il sait que son épouse déteste porter des bijoux…
« Confusément je sentais que quelque chose se refermait sur moi, tissait autour de moi une toile invisible, une cape rugueuse tissée de crainte, d’inquiétude et de stupeur. » (p.70)
Cécilia se questionne elle-même : elle, l’avocate redoutable et redoutée, comment peut-elle courber ainsi le dos dans son propre foyer conjugal, alors qu’elle est un requin diablement efficace lors d’une plaidoirie au tribunal ? Autour d’elle, qu’agisse d’un psy, d’une cliente lors du café matinal au bar du coin ou d’un accusé qu’elle doit défendre, on essaie de lui mettre sous les yeux l’évidence, lui faire reconnaître que rien dans sa relation avec Abel n’est cautionnable. Mais parce qu’elle sait qu’il y a pire ailleurs, que son sort est déjà enviable par certaines, elle préfère endurer.
« Car non, je ne suis pas une femme battue. Pas moi. Je repousse cette idée avec force. Je n’ai pas le profil type, je ne suis pas née pour ça. Je refuse qu’on me mette dans cette boîte, celle des victimes. Je n’aime pas les victimes, je n’aime que les héroïnes. » (p.11)
Quelle est la limite au fait de nier que l’on est une femme battue, abusée, exploitée par son mari ? Jusqu’à quel point la résilience peut-elle être mise à l’épreuve ? A quel moment sait-on que la spirale est déjà entamée ? Et qu’il est déjà trop tard pour faire machine arrière ?
« Je lui offre sur un plateau la certitude qu’il a tous les droits sur moi. Il se nourrit de ma part. Il se délecte de ma souffrance. » (p.141)
Yolaine Destremau livre un récit glaçant et intelligent sur les violences conjugales et l’emprise psychologique dont usent les bourreaux domestiques. Elle évite tous les clichés du genre pour présenter, froidement, les uns après les autres, les rouages successifs du mécanisme qui conduit à la lente dépossession de l’épouse abusée. Une lecture en apnée d’un roman qui nous tient redoutablement en haleine.
« Au début, il y a quelque chose de grisant à être aimée par quelqu’un qui n’aime personne. Puis c’est l’enfer. Je me suis perdue. On finit par voir le monde à travers les yeux de cette personne, jusqu’au jour où on se rend compte qu’on est en prison. Et même là, on ne sait pas si on a envie d’en sortir. » (p.157)
La Malentendue, Yolaine DESTREMAU, éditions CHARLESTON, 2023, 187 pages, 16.90€.
Je précise à ce sujet qu’il existe de bons livres qui expliquent ce qu’est la manipulation, les pervers narcissiques… et des pistes pour les contrer, pour s’en sortir. Il y a également des consultations chez des médecins psy qui vous aideront à sortir de cette situation…
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