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« Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre », Vincent Baguian : qui s’y frotte s’y pique

A trente-cinq ans, ses études de médecine brillamment réussies, Victor Baunard installe son cabinet dans la ville de La Ciotat. Son professionnalisme lui amène nombre de patients et les notables de la ville le convient bien volontiers à leurs soirées. En d’autres termes, il lui faut peu de temps pour asseoir une solide et belle réputation.

Ce que tout le monde ignore de Victor, c’est sa volonté farouche d’éradiquer les « nuisibles » de la société : ceux qui font du mal aux gens qu’il aime, les prédateurs en tout genre, les mal-intentionnés. Un double jeu qu’il mène avec une dextérité confondante, gardant les apparences sauves.

« Il y a des tas d’indésirables. La preuve ? Abréger les jours de certains patients peut contribuer à soulager tout l’entourage du défunt. Il emmerdait la terre entière, adieu. Sans lui la société tourne plus rond. C’est la vie au sens large que l’on bonifie en la retirant à ceux qui nous empoisonnent. Peut-être même est-ce la société tout entière que l’on sauve. » (p.11)

Une telle démarche (et les cadavres successifs) peut être critiquable de la part d’un médecin. Et pourtant, ne « soigne »-t-il pas les maux de la société en éliminant ceux qui en sont la cause ? Notre morale bien pensante est mise à mal car nous lecteurs en viendrions sans forcer à cautionner le modus operandi de Victor Baunard. Après tout, le mari violent, le rappeur immonde, le prêtre pédophile (pour ne citer qu’eux) ne méritent-ils pas d’être punis ? Si le médecin se pose peu de questions avant d’agir, il nous amène à nous confronter à des cas de conscience : la pire des ordures mérite-t-elle la mort ? Est-ce à un individu lambda de porter le coup suprême du châtiment (même mérité) ? Le médecin ne s’arroge-t-il pas à tort le pouvoir démiurgique de détruire ?

« Je n’aime pas voir le mal. Il m’obsède. Et je ne me sens apaisé que lorsque j’en suis débarrassé. » (p.17)

Faire justice soi-même : qui n’en rêve pas ? Pourtant, y succomber conduit tout droit à la prison, si l’on considère les faits divers qui émaillent le quotidien. Vincent Baguian troque la réalité pour la fiction et laisse libre cours à ce fantasme de vendetta dans un récit, solution nettement plus sauve (quoique…) pour tout le monde. Et, dans la digne lignée d’un roman policier, le suspense est de mise pour savoir si Victor Baunard risque d’être confondu, lui le docteur-vengeur masqué.

« Jusqu’à présent, je m’étais toujours senti grandi d’avoir accompli des actes que d’autres jugeaient répréhensibles. Mes interventions avaient eu le mérite d’améliorer le bien-être collectif, l’existence générale. De manière manichéenne jugeront certains, mais de façon efficace incontestablement. » (p.207)

Vincent Baguian nous offre un récit jouissif, délectable, parfaitement maîtrisé dans sa narration, dans la mesure où les victimes de Victor Baunard le deviennent par un habile hasard de circonstances absolument crédibles. Dans tous les cas, gare à ceux qui s’éloignent du chemin de droiture… Paradoxe notable pour celui qui n’hésite pas à faire preuve d’amoralité en tuant et d’immoralité en questionnant la marge de liberté dans son couple.

« Je ne pouvais ni lui avouer que j’avais tué, pour eux, pour nous, pour un futur plus sûr, une vie moins dangereuse. » (p.203)

L’écriture est élégante, raffinée et l’ironie critique absolument irrésistible. Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre est un bonheur de lecture qui devrait être prescrit sur ordonnance.


Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre, Vincent BAGUIAN, éditions PLON, 2023, 220 pages, 20€.

Un immense merci aux éditions PLON pour l’envoi gracieux de ce roman ainsi que la dédicace de Vincent Baguian.

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1 réflexion au sujet de “« Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre », Vincent Baguian : qui s’y frotte s’y pique”

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