A croquer

« Sur les roses », Luc Blanvillain : piquante chute

Simon Crubel végète dans la médiathèque vieillissante dont il a la responsabilité. Guère d’entrain à animer ce centre culturel décati, peu de succès à interpréter des contes au jeune public qu’il terrorise de ses effets de voix ratés… Les fidèles du lieu lui pardonnent d’être asocial : Michel, l’étrange colosse érudit, colonise littéralement la salle d’étude pour ponctuer, à point nommé, chaque situation d’une référence bien sentie ; Joëlle, accro aux nouveautés, hante plusieurs fois par jour les rayonnages de la médiathèque ; quant à Odile la bénévole, elle est une aide à la fois précieuse et discrète.

« Il subsistait en ce monde si peu d’espoir, si peu de paix, si peu d’innocence. Il aurait eu mauvaise grâce à chasser ses amis de son édénique jardinet.

Aucun n’est dupe de ce qui anime, presque chaque jour, Simon : le passage de la belle Adèle, professeur de lettres de son état, et de son fils Antoine. Éperdu d’amour pour elle, inadapté aux convenances sociales en telle situation, il ne sait comment se comporter face à elle.

« Autrui l’encombrait. Il avait partagé quelques vies, déjà, mais n’était jamais parvenu à l’harmonie que ses rêves, détruits, incessamment, représentaient. » (p.63)

Adèle n’est pas aveugle et elle a bien compris que le responsable de la médiathèque était transi d’amour. Mais elle, elle soupire après son amour envolé : le beau Charles l’a trompée, et depuis deux ans elle hante le divan du Dr Meyer de cette rupture dont elle ne se remet pas.

Aussi, dans cet étonnant roman de Luc Blanvillain, chaque personnage semble aspirer à quelque chose ou quelqu’un qu’il ne pourrait avoir. Une quête littéralement épineuse, faite d’espoirs et de désillusions.

« Il pressentait, lui, qu’être aimé d’Adèle susciterait l’immédiate éclosion d’univers spécifiques, singuliers, idéaux, qui n’attendaient que d’advenir et se manifestaient pour l’heure et depuis toujours en son âme par un entrelacs de fulgurances sensuelles, de réverbérations, d’intuitions, d’impalpables réminiscences. » (p.124)

Lorsque le vol d’une rose dans le jardin d’Odile provoque un véritable séisme dans les vies de nos protagonistes, aussi improbable soit-il, les masques tombent et la vraie vie peut se jouer. Chaque personnage est amené à se rapprocher des autres pour que l’intrigue prenne vie et s’anime de la plus délicieuse des manières. Aussi, le récit alterne entre un pragmatisme désabusé et des envolées inespérées lorsque les fils relationnels tissent un nouveau maillage auquel on ne s’attendait pas. Si chute il y a, c’est peut-être dans les roses ; si amour il y a, le dire avec des roses ; si les ennuis et les fâcheux se profilent, les envoyer sur les roses. Une douce et tendre poésie métaphorique qui tend tout le roman d’une littérarité inédite (à laquelle on reprochera seulement des placements de virgule erronés et étonnants).


Sur les roses, Luc BLANVILLAIN, éditions QUIDAM, 2024, 280 pages, 20€.

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