A croquer

« Des ailes d’argent », Camilla Läckberg : envol légèrement plombé

En 2019 paraissait la première partie d’un diptyque inaugural par la maîtresse du polar suédois, la renommée Camille Läckberg. Ainsi, avec La cage dorée, nous découvrions trois femmes, abusées de manière différente par leur conjoint. L’écrivaine prenait alors un virage thématique de taille dans sa carrière jusque là bâtie sur le socle solide de son double de papier, l’écrivaine et « enquêtrice » Erica Falck, en s’attaquant au féminisme et en défendant la cause des femmes humiliées, trompées, battues.

En 2020, la seconde partie du diptyque est publiée, sous le titre des Ailes d’argent, en se concentrant sur le personnage de Faye, brillante femme d’affaires bafouée par son époux Jack, qu’elle a réussi à mettre sous les barreaux en mettant en scène, pour se venger de lui, le pseudo-meurtre de leur fille Julienne. Le stratagème a fonctionné à merveille et Faye a pu créer, sur les cendres de son mariage, la florissante entreprise Revenge, tenue par des actionnaires uniquement de sexe féminin.

« Faye s’était libérée de sa propre histoire. Recréée elle-même. » (p.25)

De cette lecture, je retiens du positif, bien évidemment, mais également des bémols de taille. Analyse en deux parties :

Les points forts du roman

  • la confirmation d’un page-turner : il n’y a pas à dire, Camille Läckberg sait y faire, en matière de rebondissements et d’intrigue. Les pages défilent, mues par un rythme endiablé qui met à bonne distance l’ennui : ainsi, Faye doit faire face à une menace très grande sur son entreprise et aux spectres effrayants d’un passé pas si lointain.

« Elle était habituée à se battre. Elle se battait depuis son enfance. Elle avait passé outre à toutes les limites imposées par les hommes, la justice, la logique. Les lois et la morale. Elle les avait franchies sans ciller. Mais là, elle était perdue. Elle ne se reconnaissait plus et ne savait que faire d’une Faye qui avait cessé de brûler. » (p.238)

  • les revendications féministes : les femmes de Läckberg revendiquent une sexualité assumée, débridée ; elles assument aussi de gagner de l’argent, d’être des femmes de tête et de se faire plaisir avec leur porte-feuille. Faye est déterminée et incarne le combat pour faire entendre sa voix, ses envies, ses désirs et ne plus dépendre du bon vouloir d’un homme : résolument moderne et nécessaire.

« J’ai adoré être maman, m’occuper de la maison, des enfants – parce que c’est une vie agréable et protégée. Mais je ne veux plus jamais dépendre d’un homme. Plus jamais être figurante de ma propre vie. » (p.222)

« Les femmes portaient encore des chaînes, même si leur aspect avait changé au fil des siècles. » (p.273)

  • l’évocation de la Suède : le roman suscite l’envie de découvrir, pour nous lecteurs, les différents lieux où déambulent les personnages.

Les points faibles

  • le sexe pour le sexe : les héroïnes de Lackberg assument une sexualité débridée, affranchie des normes de la moralité bien-pensante, mais on a vraiment l’impression que les quelques scènes de sexe, bien salées, répondent à un cahier des charges narratif et descriptif. En d’autres termes, du superflu.
  • l’accumulation de clichés : Faye, qui a bien roulé sa bosse depuis que Jack est en prison, cumule les sacs Chanel, Hermès et Vuitton. Sa garde-robe bénéficie de considérations descriptives légitimées par leur label haute couture. Elle enchaîne les verres plus vite que son ombre, avec du champagne à volonté ou un bon Chardonnay, tellement cliché à l’étranger. De plus, si l’on quitte le pragmatisme de ces éléments pour l’évocation des sentiments à l’œuvre dans le récit, on a beau florilège de ce qu’il y a de plus stéréotypé : Faye passe brusquement du chagrin à l’extase amoureuse, pour retomber, une heure après, dans les affres de la peur. Une femme caméléon comme il y en a peu. Sa rencontre avec un homme d’affaires est digne d’une romance expéditive à Las Vegas, avec une exacerbation des ressentis pas du tout crédible.

« Je sais que c’est un peu tôt, mais je ne supporte pas de vivre sans toi. J’aimerais tellement que nous commencions à chercher quelque chose ensemble, un foyer à créer tous les deux. Un nouveau départ. » (p.185)

  • une emphase et des hyperboles de tous les instants : l’écriture de Camille Läckberg a ceci de problématique qu’elle n’est pas du tout dans la nuance, la demi-mesure. Par conséquent, c’est littéralement « trop », à certains moments, pour que l’on puisse pleinement savourer les aventures de Faye. C’est dommage, car le récit est plaisant, mais il est plombé par ces écueils narratifs et descriptifs. On ne le dira jamais assez : « less is more« …

Pour résumer, je le concède, j’ai passé un bon moment avec la deuxième partie du diptyque. Néanmoins, je ne crierai pas au génie pour toutes les raisons précédemment énoncées : Les ailes d’argent sont un rien plombées par des ficelles bien grosses qui les tiennent quelque peu au sol…


Des ailes d’argent, Camilla LÄCKBERG, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, éditions Actes Sud, 306 pages, 22.70€.

3 réflexions au sujet de “« Des ailes d’argent », Camilla Läckberg : envol légèrement plombé”

  1. Vous faites bien la part des choses, et e moins l’emporte nettement sur le plus, à lire votre scrupuleuse recension.
    C’est généralement le cas avec toute littérature à visée édifiante : Läckberg n’est qu’une tâcheronne en fiction idéologique, digne des “poètes soviétiques” des années quarante ou du roman de patronage. Mankell mis à part, il n’y a d’ailleurs pas grand-chose à sauver du « polar suédois » ou plus largement scandinave, que des éditeurs parisiens dépourvus tant de goût que de curiosité littéraire s’échinent à nous fourguer depuis vingt ans.
    Bien à vous
    F. Nicolas

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  2. Je viens de lire ce deuxième volet du diptype et j’ai eu l’impression d’avoir entre les mains un dépliant publicitaire permanent. J’ai compté pas moins de 95 références publicitaires pour 300 pages qui bien évidemment ne rajoutent rien à l’intrigue.
    Je me demande bien par qui Camilla est habillée, avec quelle voiture elle roule et quelle est la montre qui lui donne l’heure ( le tout gracieusement, à l’évidence )….
    La prochaine fois, je lirai le dépliant de Lidl ( zut moi aussi je fais de la pub ) j’économiserai 22.70 euros

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