A dévorer !

« Le processus de tendresse », Thomas Louis : pour une apologie de l’universalité du verbe « aimer »

Yann et Cyril n’auraient peut-être jamais dû se rencontrer. Pour que leur vie respective ne bascule pas dans l’inattendu, pour qu’elle demeure dans un confort bancal mais rassurant. Et pourtant, à l’occasion d’un salon culinaire, les deux jeunes hommes, tous deux dans la vingtaine, font connaissance. De prime abord, une mise en relation tout ce qu’il y a de plus professionnel : Yann aspire à devenir journaliste culinaire, tandis que Cyril jouit du prestige de sa première étoile Michelin pour la qualité de sa cuisine. Mais l’évidence ne tarde pas à advenir : entre les deux hommes, une connivence, une attirance, une séduction. En un mot : la révélation, épiphanie personnelle qui pourtant initie tout le cheminement à effectuer pour être, advenir à soi-même et à l’autre, le vrai, l’élu.

« Un instant prometteur n’est pas une promesse. » (p.32)

« L’un comme l’autre étaient les moyens de quitter les lieux, de ramasser ses miettes, et changer de façon d’être, enfin. » (p.217)

Double problème pourtant : Cyril est en couple avec une humoriste et tous deux ont une petite fille, Alice. Yann, de son côté, est englué dans la torpeur de son quotidien d’enfant unique à Tours, auprès de parents taiseux et dépourvus de toute largesse d’esprit. Autant dire que pour Yann comme pour Cyril, leur relation se doit d’être discrète, quitte à mentir et à se cacher. Parce qu’il y a sans doute trop à perdre, malgré tout.

« Il y a cette émotion pure de vivre un bonheur que l’on a vécu il y a longtemps, dont on ne pensait pas qu’il aurait pu nous manquer, avant de le revivre. Et l’impression qu’on l’a attendu toute notre vie. » (p.65)

Et pourtant, en dépit du carcan dans lequel chacun des deux protagonistes étouffe et s’étiole dans une mollesse tranquille, Cyril et Yann aspirent à donner une chance à leur relation, la voir grandir, s’épanouir. Une libération possible en pointillés, mais aussi faut-il convoquer la force nécessaire pour s’échapper des liens qui les entravent : la rumeur, le qu’en-dira-t-on souvent si cruel, la famille qui les a créés et qu’eux ont créée.

« Deux choix, deux engagements, deux visions de l’existence. » (p.124)

Le récit de Thomas Louis narre avec précision ce double cheminement d’hommes qui aspirent à revendiquer leurs envies, leurs désirs, et qu’importe l’orientation sexuelle en jeu. Le texte lui-même dénonce la chape qui pèse sur l’homosexualité (comment l’annoncer ? comment vivre avec elle ? de qui s’entourer ?) tout en célébrant l’universalité du sentiment amoureux, entre sa naissance, sa fulgurance et son étiolement, peu importe le sexe de ceux qui aiment.

« Même si la vie n’est pas que cela, ils déploient des trésors d’imagination pour oublier ce que cette dernière a de plus désespérant, ensemble. Puisqu’ils le savent, cette histoire-là n’aura qu’un temps. » (p.136)

Thomas Louis conte avec pudeur l’art d’aimer et de dés-aimer : baisser les armes, accepter de laisser couler les larmes. Le cheminement amoureux, erratique bien souvent mais pavé de tendresse, est à ce prix, à n’en pas douter…

« Et la vie est un mauvais moment d’endurance à passer. » (p.22)

Le processus de tendresse, Thomas LOUIS, éditions PLON, 2024, 220 pages, 19€.

Laisser un commentaire