A dévorer !

« La matinale », Nolwenn Le Blevennec : l’avenir n’appartient pas forcément à ceux qui se lèvent tôt…

Léonore de Karadec anime avec succès depuis des années « Bonne journée ! » avec son collègue et amant Alexis, un brillant requin de l’audimat mais misanthrope assumé et égoïste affirmé. Cette matinale, qui la fait se lever chaque jour de la semaine à 2 heures du matin, déroule un rituel implacable auquel elle s’est habituée. La chose est plus difficile pour son entourage, et en particulier pour Marcus, son mari. Les ténèbres de la nuit étouffent les atermoiements de Léonore : lasse de la monotonie de sa vie conjugale pourtant on-ne-peut-plus confortable, elle préfère le frisson de l’inattendu, tant professionnel qu’affectif, dans le cube de AZ Productions.

« C’était l’homme idéal pour une course de fond sans ligne d’arrivée. Un amour transformé en rapport de forces perpétuel. » (p.40)

Mais, en 2022, la populaire journaliste vacille : elle quitte son mari mais ne trouve pas en Alexis le réconfort espéré. Pire ; ce dernier se détourne progressivement d’elle sur le plan professionnel, la reléguant doucement mais sûrement à un second rôle. Léonore se mure dans cette image que l’on veut d’elle ; il faut dire que jamais vraiment elle n’a eu confiance en elle, la faute peut-être à l’exigence jamais satisfaite de son père ou du spleen bourgeois éternel de sa mère.

Mais la façade est fragile : Léonore sent en elle les digues se fissurer. Tant de fois elle rêve que la mer l’aspire totalement dans une déferlante incontrôlable. Elle perçoit autour d’elle les menaces de collègues féminines plus jeunes, plus attirantes, sans doute plus compétentes. A 41 ans (seulement !), ne doit-elle pas considérer que là sonne son glas professionnel ? Cruauté d’un monde fondé sur l’apparence et la quête de l’audimat, reniement du sacerdoce d’objectivité quand tant d’indications subjectives (et subversives) sont suggérées lors des interviews : Léonore perçoit avec une évidente acuité chaque fil qui manipule les marionnettes de passage sur son plateau.

« C’était la première fois depuis la séparation, le manque des enfants, le rejet d’Alexis, depuis mon obsolescence programmée et le début de mes cauchemars. » (p.143)

Ecoeurée par cette mascarade de pouvoir(s) à laquelle elle prend pourtant part tout simplement parce qu’elle aime son métier, progressivement évincée, la journaliste trouve refuge le temps d’un arrêt maladie sur l’île de Sein, dans la maison de son austère grand-mère. La rupture avec la frénésie mondaine parisienne est brutale mais permet à Léonore de s’ancrer de nouveau dans ses racines intrinsèques. Pourtant, la réalité la rattrape lorsque Alexis, jusque-là indifférent au naufrage médiatique de son ex-maîtresse et collègue, la rejoint sur l’île, avec des desseins qui lui sont propres, ou presque…

« J’ai renoncé aux basses oeuvres des audiences et de la passion. Je ne vois plus l’intérêt d’être gonflée à l’hélium et relâchée dans le vide comme un ballon mal noué, dans un vacarme, une débandade, quand on peut vivre une vie simple de caoutchouc au repos, sans déformation. Sans parts de marché, sans déchaînements hormonaux. » (p.214)

La confession de ce qui se passe lors de ses retrouvailles, Léonore la livre à son psychanalyste, puisque tout le récit que nous lisons tient lieu de la séance de la journaliste, que l’on devine en structure hospitalière.

Que s’est-il passé pour que Léonore ait besoin d’une thérapie ? Le burn-out professionnel n’est-il que la seule raison ? En quête de soi et enquête sur soi sont les deux fils narratifs au cœur du monde à vif du journalisme. Le portrait qui en est fait est aiguisé et dévoile des aspects bien peu flatteurs. Le brillant roman La matinale questionne le prix de l’exclusivité, qu’elle soit informationnelle ou personnelle : le prix s’avère sanglant, sa dette éprouvante…


La matinale, Nolwenn LE BLEVENNEC, éditions GALLIMARD, 2025, 229 pages, 20€.

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