A dévorer !

« Le dîner », Herman Koch : carnage familial

Il y a dans ce roman du Fabrice Caro, par la longue logorrhée verbale assumée avec fantaisie par le narrateur, toujours soucieux de piquer à vif dans le décalage entre les apparences et ce qu’il pense vraiment. Des saillies littérairement jouissives et réjouissantes. Il y a aussi dans ce récit un soupçon de Yasmina Reza, par la thématique de parents qui se retrouvent pour discuter de leurs enfants autour d’un épineux problème. Ce texte est une pépite, un « dîner » dévoré en 48 heures.

« – Oui. C’est pour cela que j’aimerais que nous en parlions tous les quatre. Nous sommes concernés tous les quatre. Ce sont nos enfants. » (p.177)

« C’est un incident. Un incident qui peut avoir des conséquences importantes pour la vie, pour l’avenir de nos enfants. » (p.285)


Paul Lohman et sa femme Claire, tous deux habitant aux Pays-Bas, doivent rejoindre pour dîner Serge Lohman et son épouse Babette. Mais ils n’en ont aucune envie, et pour deux raisons : en premier lieu, se mettre d’accord sur les suites à donner quant à l’épouvantable événement dans lequel le fils des uns et le fils des autres sont impliqués ; en second lieu, homme de l’ombre, Paul n’a pas envie de s’afficher une fois de plus avec son frère, en pleine campagne électorale pour gagner le titre, quasiment acquis, de Premier Ministre.

« Je n’avais pas envie d’aller dîner au restaurant. Je n’en ai jamais envie. Un rendez-vous dans un proche avenir est la porte de l’enfer, la soirée est l’enfer même. » (p.15)

Très vite, on sent les tensions sourdre : Babette arrive les yeux gonflés de larmes, Paul peine à contenir son agacement face aux réflexes primaires de son frère… Le dîner semble mal engagé.

« Oui, voilà ce que j’allais faire, ai-je décidé en ce lieu même et à ce moment précis : j’allais me contenir. J’allais me contenir comme on retient sa respiration sous l’eau, et faire comme si une main totalement étrangère au-dessus de son assiette de nourriture était la chose la plus naturelle du monde. » (p.52)

Le récit, organisé sous formes de parties allant de « L’apéritif » au « Digestif », symbolise certes la progression du repas comme dans un huis-clos (de luxe, à l’image du restaurant imposé par Serge à son frère et à sa belle-sœur) mais, insidieusement, il suggère la progression de l’intensité dramatique en élargissant les perspectives narratives non plus au repas mais à l’histoire de la famille, entre drames familiaux et mythologies personnelles. Le texte gagne en densité et le lecteur a largement de quoi « se mettre sous la dent » au moment du plat, acmé narrative de choix qui révèle une complexité des relations entre les personnages saisissante ainsi qu’une profondeur thématique insoupçonnée.

Chaque page se savoure : ce roman d’Herman Koch est un met littéraire délectable, à offrir à tout prix aux affamés de bonne littérature !


Le dîner, Herman KOCH, éditions 10 / 18, 2011 pour la traduction française (traduction du néerlandais par Isabelle Rosselin), 356 pages, 8.10€.

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