
Ce récit est une non-fiction. En effet, pendant huit ans, Lisa Taddeo a suivi et interrogé des femmes pour mieux cerner leurs émotions, leurs sentiments, leurs choix au sein de la cellule familiale et, dans une moindre mesure, dans le cadre professionnel. A bien des égards, on pourrait penser à une enquête sociologique des mœurs affectives des femmes américaines du second millénaire.
« Je suis persuadée que leurs histoires évoquent le désir tel qu’il est aujourd’hui, ce qu’il y a de bestial en lui, sa beauté et sa brutalité. Elles sont le sang et l’os, l’amour et la souffrance. La naissance et la mort. Tout à la fois. Et ça, pour finir, c’est la vie. » (p.409)
Et, de fait, Lisa Taddeo propose, à partir du parcours narrativisé de trois femmes – Maggie, Sloane et Lina – une cartographie précise et complexe de l’amour, du désir, des envies de trois femmes différentes. Ainsi, Maggie est une lycéenne naïvement abusée par un ami de son frère puis happée par son professeur, à qui elle s’était confiée, mais qu’un procès ne condamnera pas ; Sloane est une jeune femme friquée qui a réussi dans la restauration et qui assouvit les désirs de son mari, Richard, en se pliant bien volontiers à des plans à trois ; enfin, Lina, violée alors qu’elle était adolescente, s’étiole dans un mariage où le désir de son mari est mort depuis bien longtemps. Alors, elle assouvit son besoin de chair en recontactant son amour de jeunesse, Aidan.
Des parcours de vie bien différents, mais des femmes réunies par des points communs : une expérience traumatique lors de l’adolescence ; une relation à l’homme faite de quêtes, de requêtes et de renoncements ; des moments de tension où leur vie semble sur le point de basculer, sous le joug de la volonté masculine.
« Quand les hommes s’incrustent auprès d’une fille, ils en font une ville. Quand ils s’en vont, il reste leurs vestiges, le bois décoloré qui a été, tant de jours, éclairé par le soleil, jusqu’à ce que, à un moment donné, il ne le soit plus. » (p.96-97)
« Elle commence à comprendre que le problème, c’est qu’un homme ne vous laisse jamais complètement tomber en enfer. Il vous attrape juste avant que vous n’atteigniez le fond, pour que vous ne puissiez pas lui en vouloir de vous avoir expédiée. » (p.229)
Pourtant, elles revendiquent leur(s) désir(s), leur(s) envie(s). Mais les portraits démontrent d’une part le parcours du combattant pour assumer pleinement leur(s) aspiration(s), et d’autre part cette incapacité à totalement abolir le spectre masculin, à la fois objet de convoitise et de regret.
« Mais les histoires dans lesquelles le désir était incontrôlable, quand c’est l’objet du désir qui dictait le récit, étaient pour moi les plus magnifiques, les plus douloureuses. C’était un peu comme pédaler à reculons, la souffrance et l’inutilité, et pour finir, ce qui va avec : l’entrée dans un autre monde. » (p.18)
Il faut attendre une bonne centaine de pages avant d’entrer pleinement dans le texte. Par contre, une fois ferré, on ne le quitte plus. Lisa Taddeo prête sa plume à la mise en forme de parcours de femmes, de parcours de vie, d’une grande sensibilité. Encore une fois, l’occasion d’ériger des revendications féminines (et pas forcément féministes, non non) de bon sens. Mais ce qui est a priori logique pour beaucoup ne l’est hélas pas encore dans les mœurs de notre société pseudo-bien-pensante.
Trois femmes, comme il en existe tant. Un texte comme un beau parcours de réflexion et d’empathie. Une superbe découverte, donc.
« Les femmes qui n’ont pas connu l’enfer qu’ont connu certaines d’entre elles ne devraient pas les juger. » (p.148)
Trois femmes, Lisa TADDEO, traduit de l’américain par Luc Dutour, éditions JC LATTES, 2020, 409 pages, 22.90€.

Intéressante analyse ! Je pense qu’il faudra encore de nombreuses années pour que cessent définitivement ces comportements insupportables…
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J’ai eu du mal à entrer dans le texte et ai failli stopper. Mais, au final, quelle joie d’avoir tenu bon. Un récit vraiment fort pour les femmes, que ton pertinent commentaire confirme.
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