
La Seconde Guerre Mondiale décime bien des foyers. Ainsi, la petite Olivia – dite Livy – et son père Edwin se retrouvent privés de la mère, tandis que la petite Emilie – dite Emmy – et sa mère Maureen – dite Mo – sont privés du père. Jeunes encore, Edwin et Maureen tombent amoureux l’un de l’autre et se marient. Cependant, il est difficile pour les fillettes d’accepter cette nouvelle cellule familiale dans laquelle elles doivent se confronter à une demi-sœur et un autre parent. Pour les parents, il s’agit d’être justes, de ne pas favoriser leur propre enfant, quitte à être plus dur à son égard. Alors, les petites jalousies pimentent le quotidien de la famille et les filles comprennent très vite qu’elles peuvent obtenir ce qu’elles veulent en manipulant leurs parents sous l’apparence de « concessions » à l’égard de l’une et de l’autre.
« Le pli est pris. Les petites filles deviennent de redoutables stratèges. Toujours sur la brèche. Toujours promptes à monter un parent contre l’autre. » (p.25)
Mais, lorsque bébé Rosie pointe le bout de son nez, Emmy et Livy, dix ans, font front commun : le nourrisson les prive de toute attention dont jusque-là on les couvrait. Pa et Mo ne font plus cas des aînées, réservant câlins et considérations pour l’adorable Rosie. La guerre est alors déclarée : les deux enfants ourdissent chacune de leur côté un funeste stratagème, qui heureusement échoue.
« Seule Rosie a doit à un amour inconditionnel et une attention de tous les instants.
– Je la déteste, marmonne Em.
– J’aimerais que ce soit elle qui meure en pleine nuit, pense Livy. » (p.45)
Les études les envoient loin de la maison familiale et Rosie dispose de plusieurs années pour y siéger.
« Elle est le croisement de la vieille mère calculatrice de Mo et du vieux père égoïste de Pa. » (p.59)
Lorsque les aînées reviennent, accomplies, Rosie pâlit : jusque-là, elle n’avait ses parents que pour elle. Habituée à être le centre de l’attention, elle peine à accepter le retour de ses demi-sœurs. Alors, la jeune adolescente va ruser pour pourrir, le plus discrètement possible, la vie d’Emmy et de Livy. Elle triomphe de chacune, anéantissant des perspectives d’avenir heureuses. Par contre, point d’obstacle sur son chemin de vie à elle : elle bénéficie d’un fructueux mariage avec Rupert. Seulement, cela ne lui suffit pas, et pendant de longues années, Rosie va, par tous les moyens, distiller son venin, relayée par sa fille Alice une fois celle-ci devenue adolescente. Seul compte le désir de récupérer la grande demeure familiale pour en faire des appartements : alors, tous les moyens sont bons pour mettre ses demi-sœurs dehors, sans culpabilité aucune à les faire souffrir.
« Rosie ne passe pas tout de suite à l’action. Elle attend son heure, le moment où enfoncer le couteau au plus profond. Elle passe un temps infini à mitonner son attaque. » (p.137)
Emmy et Livy se serrent les coudes, quand bien même Rosie instille parfois un doute insidieux entre elles. L’ennemie commune est Rosie (et accessoirement son mari, Rupert).
La morale sera-t-elle sauve ? Qui triomphera dans ce duel sororal ?
« Elle nous déteste toutes les deux et elle mettra tout en œuvre pour nous expulser. » (p.233)
Quel trésor que ce petit roman de Willa Marsh !!! Délectable en diable ! On se plaît à détester Rosie et à alterner, grâce au narrateur omniscient, entre les différents champs de bataille, percevant les stratégies des unes et de l’autre. De fait, le roman est un vaste échiquier, du début à la fin, chaque page nous réservant la surprise du prochain pion et de la nouvelle attaque ou d’une potentielle riposte.
Bien évidemment, il n’est pas vraiment moral de vouloir supprimer sa / ses sœur(s), mais le propos y est tellement sarcastique que l’on s’en réjouit ! Et, si l’on veut, la moralité est largement rattrapée par le soin et le dévouement dont Livy et Emmy font preuve en s’occupant de leur mère, devenue vieille et atteinte d’Alzheimer ; par leur combat pour rester maîtresses de cette maison séculaire.
La narration est exclusivement faite au présent : ce choix s’avère judicieux pour le rythme et la vivacité des événements.
Meurtres entre sœurs est à dévorer avec une tasse de thé à la main et un pudding non loin : on se régale du début à la fin !
Meurtres entre sœurs, Willa MARSH, traduit de l’anglais par Danielle Wargny, éditions AUTREMENT, 2020 pour la traduction française et la présente édition, 314 pages, 12€.
