
George Woodbury jouit d’une réputation en or dans la petite ville d’Avalon Hills. Riche, bénéficiant de racines familiales ancestrales bourgeoises, il est, depuis des années, élu « Professeur de l’année » de l’établissement privé où il travaille et où sa fille Sadie, dix-sept ans, étudie. Dix ans auparavant, il a été qualifié de héros pour avoir réagi à une attaque à l’arme à feu dans l’école, sauvant Sadie, présente sur les lieux, et la personne visée par le meurtrier. Charismatique, brillant, séduisant, rien ne semble pouvoir entacher l’image étincelante de George Woodbury.
Pourtant, il suffit de plusieurs accusations d’adolescentes pour que son empire vacille : le scandale d’attouchements le fait tomber lui et sa famille. Même la forte caution ne l’empêche pas d’être placé séance tenante en prison en attendant le procès. Mais, pour ceux qui restent, l’attente s’annonce difficile. Pour Joan, l’épouse, il s’agit de se raccrocher à son travail et de trouver un peu d’espoir auprès d’un groupe de thérapie ; pour Andrew, le fils aîné avocat, il faut faire face aux démons du passé en revenant à Avalon Hills, là où des années durant on l’a stigmatisé et malmené à cause de son homosexualité ; enfin, pour la jeune Sadie, reprendre ses études, elle qui est si brillante, s’avère périlleux quand petit à petit elle comprend qu’on la traite en paria.
« Joan se rappela ce qu’avait dit la femme du supermarché sur sa responsabilité. Elle représentait désormais le mal aux yeux des gens, et c’est pour cette raison qu’ils lui manifestaient de l’hostilité. Elle n’était plus une femme, une épouse, une mère, une infirmière. Son identité se résumait à ce qu’on croyait qu’elle était. Il lui suffisait de regarder les fenêtres de sa maison maculées de jaune d’œuf pour le comprendre. » (p.95)
Peut-être pourra-t-elle trouver du réconfort dans le regard bienveillant, chaleureux et soucieux de Kevin, le « beau-père »écrivain de son petit-ami Jimmy. Peut-être ne se rendra-t-elle pas compte que Kevin l’utilise pour regagner un succès littéraire terni par de longues années sans rien en s’inspirant de la scandaleuse affaire pour en faire un roman.
« Kevin était l’exutoire idéal. Il lui avait vraiment demandé ce qu’elle ressentait. Il voulait savoir comment cette situation l’affectait émotionnellement. Les questions de sa part n’en finissaient plus. » (p.281)
Ce qui est insolite dans le récit, c’est que George Woodbury, l’accusé, est finalement mis dans l’ombre tout du long. Ne lui sont consacrés que les visites de sa femme et d’Andrew ; que la tentative de meurtre dont il est victime en prison ; que le procès, au final rondement mené. De fait, Zoe Whittall préfère se concentrer sur ceux qui restent : comment vivre sans l’accusé ? comment vivre avec le poids de la culpabilité, de la honte ? comment se dire que l’on n’a rien vu ? comment imaginer la vie après ?
« Je veux que tu acceptes le fait que tout ceci échappe à ton contrôle, que tu ne peux rien changer à ce qui est arrivé, et que tu dois commencer à envisager de mettre fin à ton mariage. » (p.337)
Toutes ces questions constituent la riche trame narrative du roman en mettant en évidence que, lorsque quelqu’un est accusé, que cela soit fondé ou non, les dommages collatéraux sont irrémédiables et tout le cercle familial, amical et professionnel est violemment éclaboussé.
L’auteur questionne aussi la versatilité de chacun : alors que la famille Woodbury jouissait d’une réputation en or et d’appuis solides, du jour au lendemain elle perd tout. Se perd elle-même. Et le roman de souligner la fragilité des relations : entre fidélité et trahison, sur qui compter quand le scandale dynamite plusieurs vies ?
Un roman intelligent de l’errance, du tâtonnement, plaisant à lire car fort bien écrit.
Des gens irréprochables, Zoé WHITTALL, traduit de l’anglais (Canada) par Marie-José Thériault, éditions EYROLLES, 2020, 422 pages, 19.50€.
