A dévorer !

« Le choix du roi », Laurence Lieutaud : couronne bancale

Maxime comble de bonheur ses parents, Karine et Fabien. A presque vingt ans, le jeune homme vient de réussir le concours qui lui permet d’entrer à Polytechnique. Un parcours brillant mais non moins studieux pour parvenir à accéder, avec un mérite indiscutable, à l’élite. Intelligent, beau garçon et sportif, Maxime fait la fierté de son père, qui s’enorgueillit régulièrement d’avoir eu le choix du roi. Car après Maxime vient Lisa, adolescente de seize ans tempétueuse, aux antipodes de son frère, si solaire. En rébellion contre le cadre imposé par sa mère, Lisa use de toutes les provocations : consciente du manque de pertinence de ce procédé digne d’une tête à claque, la jeune fille fait tout pour se faire remarquer de ses parents et s’éloigner de l’aura de son frère, qui finalement la relègue dans l’ombre bien malgré elle…

« Le fort en maths, le fils parfait, le préféré… Le Roi. » (p.80)

Maxime compte donc bien se vider la tête en ce mois de juillet avant de partir pour Paris. Sorties à la plage, fêtes et soirées : le programme s’annonce léger. Mais une nuit, le jeune homme réveille sa mère : paniqué, il lui explique avoir heurté une jeune fille sur le chemin du retour alors qu’il roulait très vite et sous l’emprise de l’alcool sur une route secondaire peu fréquentée. Après vérification, il l’a laissée pour morte.

Contre toute attente, il implore sa mère de taire ce drame. En effet, cela impliquerait un casier judiciaire et la fin du rêve polytechnicien et de la belle carrière annoncée à la tête de la France. Karine n’hésite pas vraiment : il lui faut protéger son enfant, son tout petit, car c’est une mère-louve… et son devoir. Son devoir, vraiment ?

« Mais je ne peux pas. J’ai promis. Je ne peux pas dire : Maxime a tué une fille. Notre fils Maxime a écrasé une inconnue. Une fille de son âge est morte sous les routes de « notre bonne bagnole bien assurée ». Alors je me tairai. » (p.28)

« Je me dis que j’ai fait le bon choix, le seul possible. » (p.41)

Mais lorsque dans la presse elle découvre l’innocence du visage de la douce et belle Iris, ainsi que le fait qu’elle ne soit pas morte sur le coup, Karine vacille : son fils lui a menti. Pire encore : il semble ne pas culpabiliser de l’homicide qu’il a commis et duquel il rend sa mère aussi coupable par son aveu. Comment peut-il encore la nuit jouer à des jeux vidéos d’une violence sans nom sans avoir de remords pour la fille qu’il a tuée ? Comment parvient-il à s’amuser avec ses amis ? Maxime le lui répète (quand il ne la fuit pas) : il faut passer à autre chose !

Karine a sa conscience, et très rapidement le poids du mensonge et de la culpabilité l’étouffe, ainsi que la colère de l’indifférence de son fils. Elle s’étourdit en courant des kilomètres pour penser à autre chose, se ronge les ongles au sang. Lisa et Fabien voient bien qu’il se passe quelque chose…

« La barque familiale dont je suis le médiocre capitaine a commencé à prendre l’eau. Dans la nuit du 8 juillet, elle a coulé à pic. » (p.156)

Lorsque Lisa sympathise avec Capucine, la sœur d’Iris, Karine voit là l’ironique dramatique de la situation les rattraper : un rappel incarné du crime commis.

Qui peut lâcher le premier ? Karine peut-elle décemment prêter allégeance à son roi de fils ? Quelles sont les limites de l’amour maternel ? Jusqu’où se sacrifier pour ses enfants ?

Laurence Lieutaud explore la psyché de ses personnages avec talent et il est intéressant de noter qu’elle livre deux portraits de mères malheureuses et éprouvées : Karine, en premier lieu, qui subit les tourments d’une conscience agitée par l’indifférence de son criminel de fils et l’insolence de son impertinente de fille ; en second lieu, Marie-Claire, la mère d’Iris, rongée par la culpabilité de n’avoir pas senti cette nuit-là le drame que vivait sa fille. Deux mères en souffrance, l’une muselée par le poids du secret, l’autre hurlant la douleur du deuil.

Le roman tient de la tragédie : les personnages tentent d’échapper à leur destin (par le travail, la fête, la course, l’alcool, la désinhibition, la provocation…) en assumant et revendiquant autre chose que ce que la société attend d’eux. En cela d’ailleurs, Le choix du roi tient du roman social. Le déterminisme peut-il être remis en question ? Chaque entité du roman tente de s’affranchir d’un carcan dont elle est prisonnière : faut-il le sceau de la mort pour permettre cette libération ?

Un roman passionnant, polyphonique, que l’on lit en apnée, avec une question obsédante en filigrane : le roi Maxime peut-il légitimement être déchu ?


Le choix du roi, Laurence LIEUTAUD, éditions GRASSET, 2023, 235 pages, 20€.

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