
Josephine, aussi prénommée Billy, et Francis, dit Frank, sont tous deux mariés. Mais lorsqu’ils se rencontrent lors d’un raout d’éminents spécialistes de l’économie, les liens du mariage n’ont que peu de poids face à l’évidence de leur attraction.
Pourtant, Billy aime son mari, Grey, qu’elle connaît depuis sa plus tendre enfance. Un couple on-ne-peut-plus pragmatique, peu soucieux du paraître et des fioritures sociales.
Pourtant, Frank aime sa femme, Véra, décoratrice d’intérieur de renom avec qui il a eu deux beaux et talentueux garçons.
Pourtant, Billy n’a pas une once de féminité, s’habille comme un sac et ne déploie aucun artifice romantique.
Elle est comme un système solaire avec ses propres caractéristiques extraterrestres : son passé, son couple, ce que je fais dans sa vie, ce qu’elle pense de moi. (p.11)
Après tout ce temps-là, je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui, dans la vie passé et présente de Billy, explique que j’aie pu y entrer. (p.18)
Alors, quels mystérieux algorithmes de la passion peuvent amener deux personnes que tout ou presque oppose à entamer une liaison ? Tous deux le reconnaissent : il n’y a pas de « part manquante » dans leur quotidien conjugal, et leur relation semblerait, aux yeux d’un tiers, absolument improbable. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore ? » Sans doute ce cliché usé jusqu’à la corde est-il légitime ici.
La question est la suivante : s’il est vrai, comme le dit ma maîtresse, qu’elle va rester avec Grey, et moi avec Véra, pourquoi saisissons-nous la moindre occasion pour être ensemble ? (p.36)
Et c’est ce qui est touchant dans ce court roman de Laurie Colwin : point d’emphase dithyrambique pour signifier la force de l’affection et du besoin, viscéral, de l’autre. Billy et Frank s’aiment, et la puissance de leur lien est proportionnel au nombre de fois où Billy a tenté de rompre, sans jamais le pouvoir.
Je m’aperçois que, quoi qu’il arrive, Francis est indélébile. Il fait partie de mon expérience » (p.237)
Adultère ou une variante déjà moderne du poly-amour ? On pourrait se poser la question, tant les deux protagonistes semblent cultiver un certain équilibre entre leur vie amoureuse maritale et leur relation extraconjugale sans qu’il y ait d’atermoiements quant à la moralité de ce qu’ils vivent. Par contre, de la jalousie pour le conjoint, « l’autre », il y en a, toujours, et pour les deux. Ne renier ni l’officiel(le) ni l’officieux(se)… : n’est-ce pas là une redéfinition assumée de la possibilité d’aimer sans exigence d’unicité ?
L’amour, pensait Billy, formait des couples insolites et ne faisait ensuite absolument rien pour leur venir en aide. (p.155)
Réflexion touchante sur le mariage, les choix amoureux et l’élection affective, ce spirituel récit d’un couple qui choisit de croiser les lectures de l’amour se lit avec malice.
Frank et Billy, Laurie COLWIN, traduit de l’anglais (États-Unis) par Elishéva Marciano, éditions AUTREMENT, 2018 pour la présente édition, 238 pages, 10€.
