A dévorer !

« Le Livre de la rentrée », Luc Chomarat : vertige littéraire (Rentrée littéraire)

Attention : OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) ! Et, accessoirement, petite pépite à dévorer…

Delafeuille est un éditeur parisien qui tente de garder sa tête sauve du couperet des chiffres qui régissent le milieu. Alors, pour cela, il lui faut trouver LE roman qui permettra d’assurer le succès des ventes de la rentrée littéraire à venir. Mais, post-COVID, alors que nombre de Français se sont emparés de leur plume pour devenir « écrivains », le marché est saturé et la qualité clairement, dramatiquement inférieure à la quantité de manuscrits proposés.

L’espoir réside peut-être en Luc, un écrivain et ami qui s’est exilé en province avec sa famille après le succès de ses premiers romans. Le temps d’une semaine, Luc propose à Delafeuille de séjourner chez lui. L’éditeur accepte avec plaisir de rompre avec la monotonie parisienne et file bien volontiers chez son ami. Là-bas, il est accueilli par la délicieuse Delphine, l’épouse de Luc, qui de suite le fascine par son élégance et l’aura qu’elle dégage. Mais le désir, évident, ne restera que de l’ordre du fantasme.

Lorsque Luc lui propose de lire le manuscrit qu’il est en train d’écrire, Delafeuille est pris de vertige : tout ce qui est narré est le calque parfait de ce qu’il a vécu et est en train de vivre ! Roman miroir ? Réalité romancée ? Et le lecteur de soudain perdre pied : qu’est-il en train de lire ? Le roman de Luc Chomarat, auteur qui raconte la genèse du roman du personnage-écrivain de Luc, roman dans lequel Delafeuille est un personnage qui prend conscience qu’il est le personnage d’un roman ?

« Monsieur Delafeuille… Ce sont des mots, vous savez. Rien d’autre. » (p.152)

Les niveaux de lecture se multiplient et la mise en abyme devient vertigineuse. Mais aussi géniale ! De fait, Luc Chomarat (l’auteur du présent roman chroniqué) questionne les limites de la fiction, l’enjeu de la métafiction et joue avec l’autofiction.

« Les personnages de fiction font un peu ce qu’ils veulent, il le savait bien. C’est un phénomène que connaissent seulement les romanciers, ceux qui s’adonnent à cette activité étrange qui consiste à bercer leurs contemporains d’histoires imaginaires, pour les aider à supporter la réalité. Très vite, les marionnettes créées par le romancier vivent leur propre vie, vont parfois jusqu’à contredire l’intrigue, disent leur propre texte. […] Ce sont bien eux, les personnages, qui conduisent, qui dirigent l’histoire. » (p.23)

Ainsi, Le Livre de la rentrée se veut un palimpseste des lectures possibles d’un récit, sa part de réalité et sa part de fiction dans une joute littéraire d’indices qui titillent le lecteur, le rassurent autant qu’ils le déstabilisent. Quel est le prétexte inhérent à cet OLNI ? La rencontre amoureuse impossible ? Quel est le matériau premier (réel ? fictionnel) sur lequel se superposent considérations réalistes et propos imaginés ? « Toute ressemblance avec… » : la mise en garde est de mise, et Luc Chomarat d’intelligemment jouer à l’excès avec elle !

« Je vais te dire ce que j’en pense : les livres qui parlent d’écrivains qui écrivent des livres n’intéressent plus les gens, et c’est normal. Ils en ont trop bouffé, ces vingt dernières années. » (p.98)

Une fiction (vraiment ?) brillante, nourrie de considérations savoureuses sur le microcosme littéraire. On en redemande, de ce morceau de bravoure narratif !


Le Livre de la rentrée, Luc CHOMARAT, éditions LA MANUFACTURE DE LIVRES, 2023, 236 pages, 19.90€.

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