A dévorer !

« Les désarrois du professeur Mittelmann », Eric Bonnargent : mention très bien ! (Rentrée littéraire)

Pendant presque quarante ans, Mittelman s’est levé à 5.45 pour aller enseigner la philosophie à des lycéens dans des académies plus ou moins désirées. En presque quarante ans, Mittelman a été le témoin privilégié d’un système éducatif français perclus de ses failles, de ses béances, de ses aberrations. Mais quarante ans ou presque de carrière ont aussi offert à ce professeur respecté et adulé de beaux moments et des rencontres inédites. La carrière d’un enseignant pourrait sembler telle un jour sans fin : un éternel recommencement, une rentrée qui se répète chaque année. Et pourtant, peut-on décemment penser que c’est toujours la « même chose » ?

« Vêtu de son peignoir, il calcula qu’il s’était confronté pendant trente-trois ans à plus de six mille élèves. Qu’il avait appréciés, pour la plupart, et menés au baccalauréat dans une savante combinaison d’implacable exigence et de bonne humeur dont ils lui avaient su gré. Si eux se souvenaient à coup sûr de lui, lui les avait presque tous oubliés. » (p.16)

En quelques chapitres qui s’appuient chacun sur une année précise de la carrière de Mittelman, le narrateur retrace à la fois la vie personnelle de son protagoniste et son parcours professionnel, lui qui a l’origine ne pensait pas forcément enseigner la sagesse. Et pourtant, de la philosophie, il lui en a fallu pour gérer la crise conjugale, la renaissance amoureuse, la tentation du démon de midi ou bien encore le succès mitigé de ses romans. Avec Mittelman, l’auteur nous offre le riche portrait d’un homme qui ne se résume pas à sa seule profession. En effet, bien souvent, on oublie qu’un prof n’est pas seulement qu’un prof : une fois le seuil du collège ou du lycée franchi, une autre vie prend le relai, plus ou moins riche, plus ou moins épanouie. Derrière l’incarnation d’un système, un individu comme tous les autres, avec ses désirs, ses envies, ses manquements…

« Son drame était celui de la médiocrité : assez intelligent pour se rendre compte qu’il ne l’était pas assez, qu’il n’avait pas le talent dont il avait rêvé, et qu’il était passé à côté de sa vie. » (p.106-107)

Le récit d’Eric Bonnargent cible avec justesse et cynisme nombre de caractéristiques propres au monde enseignant, petit entre-soi de deux millions de professeurs auréolé de certains clichés pas toujours très glorieux, et que le roman pointe avec malice (les syndicats, la « cour d’école » qu’est la salle des profs avec ses profils clichés…).

« L’image sociale de la profession s’était tellement détériorée au fil de sa carrière qu’il avait souvent, en public, éprouvé une certaine gêne à s’avouer professeur. » (p.21-22)

« Tous, finalement, se comportaient comme se comporteraient bientôt leurs élèves, jacassant sans cesse et de plus en plus fort jusqu’à ce que le professeur leur demande de se maîtriser. » (p.147)

Certes, le constat peut sembler amer lorsque quelques chapitres, simulant une heure de cours de Mittelman en 1991 puis en 2018, témoignent de l’évolution (descendante ?) de la pratique professorale, mais aussi celle du public scolarisé, lui-même archétype des mouvements de la société. Mais l’espoir est là, il demeure malgré tout : la foi en sa vocation de maître à penser, la foi en la capacité des têtes blondes à accueillir la parole.

« C’était cela, désormais, être professeur : être confronté au mépris de sa hiérarchie, des parents d’élèves et de leurs chères têtes blondes. » (p.175)

« En matière d’éducation, il était désormais pratiquant, mais non croyant : fonctionnaire, il fonctionnait. » (p.235)

En ces temps agités pour l’Éducation Nationale (mais est-elle jamais tranquille ?), Eric Bonnargent rappelle que des piliers demeurent, la passion d’enseigner chevillée au corps. Alors que cette humanité, si précieuse, soit chérie et respectée pour mieux être enseignée.

A mettre entre toutes les doctes mains des enseignants, en pratique ou retraités : une invitation à réfléchir à leur métier, leur rôle, leur place dans la société.


Les désarrois du professeur Mittelmann, Eric BONNARGENT, les éditions du SONNEUR, 2023, 278 pages, 18€.

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