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« Cannibales », Régis Jauffret : homme, prends garde à toi

Noémie vient de rompre avec Geoffrey, de plus de trente ans son aîné. Passablement vexée que son ex-compagnon ne l’ait pas suppliée de revenir à ses côtés ou n’ait tenté la moindre tentative pour la récupérer, la jeune femme décide d’écrire à Jeanne, la mère de Geoffrey, pour se plaindre à elle de l’ignominie de son fils.

L’échange épistolaire est au début très vif entre les deux femmes, Jeanne ne manquant pas de répartie pour museler la jeune péronnelle qui prétend lui faire des reproches sur la chair de sa chair.

« Pas de simagrées, l’amour n’est pas la vie, une rupture n’est pas l’agonie. C’est tout au plus un tendre rhume, une fluxion, la foulure d’un sentiment » (p.23)

Mais une entrevue à Cabourg entre les deux femmes dont on ne saura rien renverse la dynamique, et voilà Jeanne et Noémie complices comme jamais, mues par la même haine envers Geoffrey : l’une ravale sa fierté de l’orgueil blessé par la rupture, l’autre tente de digérer depuis des années la médiocrité de son fils. Et leur correspondance de se gargariser de doux mots pour mieux imaginer leur projet commun, funeste : se débarrasser de l’inopportun et s’en délecter autour d’un festin dont il sera le mets principal.

« Considérez que le passage de Geoffrey dans votre vie est un affront. A deux, nous serons plus fortes pour ourdir et vaincre. Il ne s’agit pas tant de le meurtrir que de lui porter l’estocade. Terrasser le monstre, voilà notre projet et la perspective pour nous de connaître dans la vengeance tout le bonheur du monde. » (p.41)

Bienvenue dans l’absurdie de ce roman de Régis Jauffret, dans lequel les canines féminines sont mises à découvert pour dépecer la masculinité qui aurait eu le malheur de la bafouer. Même si le propos se veut parfois totalement inenvisageable, telle une farce féroce, on n’en saisit pas moins les revendications de femmes qui aspirent à être considérées autrement, différemment. Autant dire que bien des pages sont quelque peu barrées, mais l’écriture, ciselée à la perfection, érige la furie des protagonistes en étendard.

« Ils nous ont assez persécutées depuis l’Antiquité, à l’avenir nous serons les combattantes qui riveront leur clou à ces reproducteurs dont nous ne rechercherons dorénavant que le nectar. » (p.90)

Sous le vernis du raffinement et de l’élégance attribuées aux femmes peut se tapir la cruauté d’un instinct de survie lorsque leur intégrité est mise en danger. Homme, prends garde à toi !

« Il est temps de nous prendre au sérieux, ne plus faire semblant d’être des incertitudes, des erreurs, des rognures de ce que nous serions si nous consentions à être ce que nous sommes. » (p.119)

Cannibales, Régis JAUFFRET, éditions POINTS, 2016, 188 pages, 6.50€.

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