« Sexy », Joyce Carol Oates : calomnies adolescentes

Darren Flynn est un lycéen populaire, de par son physique avantageux et ses talents sportifs au sein de l’équipe de natation du lycée de North Falls. Garçon sans histoire, il cultive une simplicité de tous les instants, n’usant ni n’abusant de son statut envié de jeune homme promis à un bel avenir.

Un soir après les cours, son professeur d’anglais, Mr Tracy, lui propose de le raccompagner en voiture chez lui afin de ne braver ni le vent ni le froid de l’hiver rigoureux de ce début d’année. Ne voulant manquer de respect à son professeur, charismatique et adulé par ses élèves, Darren accepte. Cependant, aussitôt assis sur le siège passager, l’adolescent ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine gêne. Comment l’expliquer ? Sont-ce les compliments que Mr Tracy lui adresse ? Est-ce le franchissement d’une certaine intimité dans le fait de lui proposer de l’appeler par son prénom ? Est-ce l’emphase, trop marquée à son égard, qui le trouble ? Objectivement, rien ne se passe… mais Darren ne peut s’empêcher de sentir que quelque chose de pas très clair s’est insidieusement passé. Un malaise persistant, qu’il ne peut ignorer ni effacer…

« Darren ne se sentait pas tranquille, il avait l’impression d’être pris au piège. Il regrettait de ne pas être rentré chez lui à pied. Il aurait presque aimé partir avant avant que Mr Tracy ne revienne. Mais il ne pouvait pas. […] Il parlerait peut-être de ce trajet en voiture à ses copains le lendemain. Ou peut-être pas. » (p.46)

Les ennuis ne vont pas venir de Darren, mais de ses camarades de l’équipe de natation : en effet, Kevin, Jimmy et Drake conspirent une vengeance contre le professeur à la suite de notes d’anglais qu’ils considèrent comme injustes. Leur méthode de représailles : faire croire que Mr Tracy a des penchants homosexuels à l’encontre des jeunes garçons en général. Les adolescents fabriquent de toutes pièces un canular. Mais la machine judiciaire s’emballe et les conséquences, quais-immédiates, leur échappent.

Car ils parlaient à présent de revanche et de vengeance. (p.106)

Darren est perdu : il sait que Mr Tracy n’est pas coupable de ce dont on l’accuse, mais il a aussi compris que son professeur avait sans doute des penchants à l’encontre de la bienséance de la petite bourgade policée de North Falls. A qui faire allégeance ? Aux camarades qui injustement jettent l’opprobre sur un professeur apprécié et talentueux ? A Mr Tracy lui-même, qui l’implore de confirmer qu’il n’a jamais rien tenté ?

Le jeune homme est face à un dilemme, que les événements tragiques ne pourront guère solutionner…

« essayer d’oublier ce malheureux incident […] pour qu’il ne s’ébruite jamais, pour que ce malheureux malentendu ne s’ébruite jamais » (p.205)

Joyce Carol Oates livre dans ce récit à l’origine destiné à un jeune public une pertinente réflexion, à visée sans doute bien plus générale, sur les effets dévastateurs des rumeurs, souvent lancées en guise de vengeance. Or, les conséquences peuvent être dramatiques et ce qui ne devait être à l’origine qu’un jeu devient une tragédie. On soulignera la critique acerbe des jugements à l’emporte-pièce, lorsqu’ils sont émis par des individus aveuglés par une pseudo-moralité finalement elle-même condamnable. De fait, les « victimes » se révèlent être des coupables lorsqu’elles perdent le contrôle des événements. Un roman intelligent, cruel et sensible, dont les enseignements ne peuvent que contribuer à améliorer un savoir-être et un savoir-vivre fâcheusement défaillant en nos temps agités.

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Sexy, Joyce Carol OATES, roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Diane Ménard, éditions GALLIMARD, collection Pôle Fiction, 2019 pour la présente édition, 244 pages, 7.40€.