A dévorer !

« Les obsessions bourgeoises », Madeleine Meteyer : illusions perdues ?

D’or et de paillettes : tel semble être le désir de conquête de Servane Lacombe, jeune fille banale pas plus intelligente que la moyenne, pas plus jolie que les autres filles et surtout point biberonnée avec une cuillère en argent dans la bouche.

Pourtant, Servane n’est pas malheureuse. Sa mère Iris jouit d’une solide réputation intellectuelle de par ses parutions de professeur et d’écrivain de philosophie. Une famille un peu foutraque, totalement débordée avec toute la joyeuse marmaille qui du matin jusqu’au soir n’arrête pas, mais absolument aimante, à jamais présente.

Ce cocon de tendresse, aussi socialement modeste soit-il, ne suffit hélas pas. Servane nourrit un appétit de luxe insatiable. Sa porte d’entrée pour y accéder : être acceptée dans le cénacle des jeunes gens bien nés, au bon goût inné et pour lesquels l’argent n’est et ne sera jamais un problème. Ainsi, progressivement adoubée par la bande de Céleste Barruel, héritière de la vingt-sixième fortune de France, de Mathilde de Saint-Bonnet et autres nantis, Servane goûte un mode de vie inédit, dont elle essaie de s’approprier les us et coutumes. Mais pas évident de maîtriser des codes qui ne lui sont pas inhérents, et le quotidien se charge de lui rappeler ses fautes de goût, sa position (« bonne » d’enfants au service des trois rejetons des de Goursac), tout ce qu’elle ne peut acheter et tout ce à quoi elle doit renoncer ou sacrifier : Servane a beau être admise dans les rallyes, être de toutes les fêtes et de tous les événements, le lecteur comprend que la jeune fille n’est jamais vraiment totalement là où elle devrait être. Cruel.

« L’espèce à laquelle elle [Céleste] appartient peut blesser, trahir, il ne lui sera jamais rien reproché. » (p.342)

Servane a la foi chevillée au corps : fidèlement aidée par Etienne de Sombreuil, la jeune femme projette de créer son propre système de valeurs. Telle une héroïne du XIXème, Servane dispose de l’esprit de conquête nécessaire pour s’affranchir de sa classe sociale. Mais est-on prêt à l’accepter comme une des leurs alors qu’en elle ne coule pas de sang bleu et que dans ses poches se cachent des mensualités pour payer ses achats dispendieux ?

« Moi, je… J’ai besoin de cet argent. […] J’ai besoin d’être acceptée par les gens avec qui je traîne, de ne pas être éternellement celle-qui-n’a-pas-un-rond-pour-partir-en-week-end. » (p.121) « Servane se hait de parler ainsi à ses parents si bons, si doux. » (p.123)

A quel moment Servane peut-elle arrêter de mentir aux autres et de se mentir à elle-même ? Incarnation du transfuge social, la jeune femme croit en sa légitimité à appartenir à ce monde dont elle rêve, dont elle connaît tous les prix. Mais tout ce qui brille n’est pas d’or, et Servane va le découvrir à ses dépends…

« Sois patiente, ma Servane. A force de vouloir trop et trop vite, tu te compliques la vie. » (p.143)

La conquête de Servane est ralentie dans son ascension lorsqu’un vase de quinze mille euros est volé dans l’appartement des parents de son amie Céleste : autour d’elle, des murmures naissent. Et si c’était cette jeune femme très « classe moyenne » qui avait fait cela ? Après tout, il se raconte des faits peu glorieux de son expérience de baby-sitter chez les de Goursac. Et si ce qui se dit dans l’intimité des appartements dorés était bel et bien vrai ? Servane, fausse ingénue, vraie parvenue ?

« Chaque moment pénible devant un jour rejoindre la grande constellation des efforts consentis pour un destin glorieux, rien ne la heurte quand il s’agit de gagner de l’argent. » (p.186)

Madeleine Meteyer signe un excellent roman qui questionne le déterminisme social et les apparences : peut-on croire en la porosité des classes ? A quelles conditions (si elles existent) peut-on s’élever ? Le culte de l’entre-soi est-il forcément gage d’exclusion ? Entre ceux qui rêvent de pénétrer dans le saint des saints des nantis et ceux qui en sont déchus par la cruauté d’un destin insaisissable, Les obsessions bourgeoises propose à la fois une étude sociologique et un œil critique sur un certain monde, qui use (et abuse) d’un bouclier (de verre) contre lequel même les rêves les plus légitimes peuvent se heurter, voire se fracasser, Reste le dénouement, jubilatoire, pied de nez bien mérité qui scelle avec ironie les vestiges des désillusions…


Les obsessions bourgeoises, Madeleine METEYER, éditions JC LATTES, 2024, 347 pages, 20.90€.

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