
Diane Briat est une jeune femme dont on sait peu de choses, si ce n’est qu’elle est photographe et qu’elle se trouve sans intérêt : physiquement jolie mais sans particularité notable, intéressante sans être captivante, commune sans être banale non plus.
Ce que l’on devine par contre très vite, c’est que Diane aime vivre sa vie par procuration, surtout lorsqu’il s’agit de se plonger dans la contemplation d’une vie de clichés affichés sur Instagram, tous donnant à voir des instants magnifiés par la grâce d’un filtre et d’une mise en scène que l’on ne peut que taire.
« Ma vie serait sûrement moins bien étrange si j’avais confiance en moi. Si je n’avais pas besoin de vivre à travers l’approbation d’autres personnes. » (p.55)
Ainsi, Diane est fascinée par Lou Trenet, une « influenceuse » d’IG jouissant d’une notoriété certaine, ses plusieurs centaines de milliers d’abonnés faisant foi de sa popularité. La raison de cette célébrité ? Au final pas grand chose, si ce n’est un corps (très) bien fait sur une tête contre toute attente (osons le dire) plutôt bien remplie. Diane brûle de côtoyer Lou, et sa fascination n’a pas de limites : elle met en place un stratagème pour la rencontrer « par hasard », s’en approcher de plus en plus. Toujours plus. Un pari gagnant, puisque les deux jeunes femmes vont effectivement se rapprocher.
« Somme toute, elle s’avérait aussi fascinante qu’accessible. Une déesse tombée de l’Olympe. Elle était à ma portée. L’entreprise n’était pas vaine. » (p.10)
« Lou composait son petit monde comme un tableau dont elle maîtrisait les ambiances et les nuances. Je rêvais d’en faire partie. » (p.14)
Pourtant, Diane n’est que l’ombre d’un astre incandescent : bien consciente d’être le faire-valoir d’une star en devenir (parce que Lou le sait : elle deviendra quelqu’un, sans qu’il soit question d’une quelconque hypothèse), Diane voue allégeance à Lou. Elle accepte toute la cruauté de sa servilité, coups de poignard peut-être inconscients de son idole entre deux excès de générosité. Après tout, elle assume sa dépendance entière, totale, à Lou la solaire, la divine.
« Elle était tout ce que je n’étais pas, sans paraître inaccessible pour autant. » (p.37)
Une fascination forcément toxique, malsaine. Mais après tout, Diane « aime ». Bien plus que tous les abonnés de Lou, forcément : Lou l’a choisie. Peut-être pas vraiment comme « amie », mais elle est toujours sa « + 1 » aux événements auxquels la starlette est invitée. Par intérêt croyez-vous ? On ne saurait si bien dire…
Quand la fascination devient obsession, gare aux dérives. Mais n’est-ce pas ce miroir aux alouettes, résultat illusoire de mises en scène factices, que les réseaux sociaux proposent en continu ? Images léchées, rêve(s) à porter de clics : pourquoi ne pas désirer ce que quelques « élus » des réseaux brandissent sous nos yeux avides de paillettes ? Avoir et être : tout semble tenir dans ces deux verbes, grammaticalement pourtant si pauvres…
Camille Yolaine, elle-même très suivie sur les réseaux, démonte consciemment et savamment l’envers du décor des influenceurs : fatigue, dépendance entretenue par les partenariats, obligation de rendement et quête effrénée des « J’aime »… Une influence qui n’a rien de naturel, qui répond à une mise en scène dont les fils ne sont même pas tenus par l’acteur ou l’actrice principale, mais par les followers : être adoubé(e) par le nombre de cœurs et se sentir galvanisé(e) par l’enthousiasme suscité. A l’inverse, risquer le faux-pas qui ternir l’image et fait chuter la popularité… Toile tendue qui enferme et qui piège tout autant l’influenceur et l’influencée, une interdépendante néfaste, illusoire et potentiellement toxique.
Diane peut-elle être démasquée par Lou ? Quelle limite franchie signera le point de non-retour entre les deux jeunes femmes ? Le récit crée une tension grandissante, et nous lecteurs d’être suspendus aux gestes, aux paroles de l’une comme de l’autre…
« Ses imperfections me sautent de plus en plus souvent au visage, comme si le brouillard de la fascination initiale se dissipait. Mais au lieu de me faire redescendre de mon obsession, cette vérité m’y entraîne encore plus. Qu’elle me captive en étant extraordinaire et inatteignable, soit. Mais qu’elle resplendisse toujours plus à mes yeux, même à travers le prisme de la banalité, voilà qui est vraiment dangereux. » (p.83)
Des limites donc du mimétisme et de l’exhibitionnisme factice, ou l’on risque de se brûler… d’un côté ou de l’autre de l’écran.
J’aime, Camille YOLAINE, éditions ALBIN MICHEL, 2024, 169 pages, 17.90€.

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