A dévorer !

« Dompter les vagues », Vendela Vida : avec force et fracas

Eulabee est une adolescente américaine, d’origine suédoise, et qui vit dans un quartier huppé de San Francisco, avec vue privilégiée sur le Golden Gate. Quartier chic certes, mais la famille d’Eulabee ne vit pas sur ses deniers comme nombre de leurs voisins : sa mère travaille dans un hôpital et son père tient une galerie d’antiquités. Au quotidien, pas d’extravagances non plus, les parents ayant choisi de privilégier l’éducation de leurs deux filles, Eulabee et sa petite soeur Svea, en les ayant inscrites depuis leur plus tendre enfance à Spragg, établissement prestigieux (et coûteux) pour filles.

Eulabee partage donc ses journées entre une scolarité d’exception et des moments de détente sur la plage avec ses plus proches amies : Faith, Julia et Maria Fabiola. Si Eulabee affectionne chacune d’entre elles, elle ne peut nier sa fascination, partagée par tous, pour Maria Fabiola, que la mue adolescente transforme en beauté incandescente. Ainsi, la jeune fille aimante quiconque passe près d’elle.

« Les gens veulent toujours avoir Maria Fabiola pour eux. C’est quelque chose dans cette façon qu’elle a de braquer sur vos ces yeux sublimes. Même quand vous ne la regardez pas directement – surtout quand vous ne la regardez pas directement -, vous sentez qu’elle vous toise, sans ciller. » (p.94)

Maria Fabiola pourrait se contenter de ce que Dame Nature, dans sa générosité, lui a offert. Mais cela ne lui suffit pas : ce qu’elle veut, c’est briller, imposer son éclat auprès des autres. Qu’importe si pour cela il lui faut user de subterfuges. Et s’il y a quelque chose que Maria Fabiola maîtrise à la perfection, c’est l’art de l’affabulation.

« J’écoute tout ce que dit Maria Fabiola, et je me rends compte que c’est presque exact, et pourtant ça paraît tellement différent de ce qu’on a vécu, quand elle le raconte. […] Avec une intense lucidité, je comprends à présent que Maria Fabiola possède des talents que je n’aurai jamais. » (p.244)

Aussi, lorsque les premières divergences de propos tendent à poindre, Eulabee met cela sur le compte de la méprise. Mais lorsqu’elle comprend que Maria Fabiola fait de l’esbroufe un art personnel pour mieux assurer sa « suprématie » sur sa cour chaque jour plus nourrie, Eulabee prend ses distances. Quitte à douter. En effet, son retrait l’ostracise d’emblée : on se moque d’elle, on l’humilie… Ses amies d’hier lui tournent le dos. Rien de plus versatile que l’adolescence, non ? Rien de plus cruel, aussi.

Jusqu’à quel point Maria Fabiola peut-elle manipuler son entourage ? Eulabee peut-elle rentrer en grâce auprès d’elle ? Si oui, à quel prix ? Faut-il renier ses valeurs au nom des sirènes de la popularité ?

Vendela Vida signe un récit passionnant. Au final, il se passe assez peu de choses, dans la mesure où toute l’intrigue se concentre sur le jeu de forces entre les différentes adolescentes. C’est à celle qui pliera, ou à celle qui assujettira…

« Elle dit que vous étiez toutes façonnées pour être des copies conformes. Elle dit que la seule façon de s’en sortir, c’était d’être extraordinaire. » (p.283)

Des relations complexes, sur le fil à la fois si fragile et si tendu de cette étape de la construction des futures adultes qu’elles seront. L’écrivaine suggère la difficulté à être soi quand le groupe impose ses diktats. Refus, acceptation… dans tous les cas, aucun compromis n’est permis.


Dompter les vagues, Vendela VIDA, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marguerite Capelle, éditions ALBIN MICHEL, 2024, 288 pages, 21.90€.

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