
Pépite estivale que je vous partage in situ : dévorer un roman en vacances sur l’île de Ré, acheté avec convoitise à la librairie Grand Largue de St Martin, alors que l’intrigue s’y déroule, je ne demande pas meilleur plaisir !
En cet été 1985, alors que le pont ne relie encore pas l’île de Ré à la Rochelle, Philippe, dix-huit ans, et ses parents retrouvent la famille de Christian, le meilleur ami du père du narrateur. Des retrouvailles renouvelées chaque année, et que Philippe attend cet été-là avec une impatience particulière, après une année de prépa à bûcher comme un malade pour obtenir de prestigieux concours.
Lui, surnommé l’intello parmi ses amis rétais, retrouve avec grand plaisir François, le fils de Christian. Beau garçon conscient de son charme, le jeune homme ne manque pour autant pas de courage ni d’humilité pour honorer, tôt chaque matin aux côtés de son père, son CAP de boucher. Philippe retrouve aussi Christophe, grand et solide gaillard dont le destin semble scellé à celui de la pêche en mer. Qu’importe le cursus de chacun, l’alchimie de l’amitié est là, simple, dépourvue de considération sociale.
Cependant, le trio initial s’agrandit cet été-là : en premier lieu, avec le sombre et torturé Nicolas, venu rejoindre l’île quelques mois auparavant avec sa mère pour fuir une situation familiale compliquée. Taiseux, il exerce pourtant une certaine fascination sur les autres. Ensuite, se joignent aux amis Alice et son frère Marc, deux parisiens tout ce qu’il y a de plus bourgeois à l’époque, et qui voient en Philippe les « points d’accroche » suffisants pour établir des connivences. Des rapprochements, François en voudrait bien auprès de la belle Alice, mais l’adolescence est espiègle et les désirs des uns se heurtent parfois à l’incompatibilité des souhaits des autres. Aussi, le narrateur conte-il ces liens amoureux et amicaux qui se font et se défont le temps d’un été, telles des vagues qui vont et viennent, se heurtent avec fracas sur les rochers ou viennent doucement mourir sur la rive. A chaque fois, le point de chute semble improbable. Ainsi en est-il aussi de ces fils qui se tendent entre les protagonistes…
« En dépit de ces différences, ou à cause d’elles peut-être, la fusion semble opérer. » (p.62)
« Et si j’avais compris que la nonchalance, quelquefois, sert seulement à masquer des tempêtes intérieures ? » (p.174)
Nous sommes en 1985, et Philippe Besson rappelle qu’à cette époque-là, l’indolence est de mise : point de portables ni d’ordinateurs portables, et ne rien faire n’est en aucun cas un problème.
« On avait été bien. Il y avait eu le soleil et le sel sur nos peaux. Il y avait eu de l’optimisme, de l’entrain, de la gaieté. Il y avait eu de l’insouciance, de l’indolence, un laisser-aller, un lâcher-prise. Et on avait été ensemble. » (p.99)
Alors, les six amis « zonent », se retrouvent dans les bars du coin ou les fêtes populaires de Saint Martin de Ré. Sur une bande-son tout ce qu’il y a de plus eighties, l’auteur donne corps à un ballet au coeur duquel Alice, Marc, François, Nicolas et le narrateur se croisent. Des points de jonction fugaces et furtifs, suffisants pour être intenses et susciter en germe des tensions dramatiques.
« Je me demande pourquoi je suis saisi par une telle bouffée de nostalgie? Peut-être ai-je l’intuition que cet équilibre pourrait être menacé. » (p.77)
L’acmé de la tragédie se déroule lors d’une soirée d’anniversaire de l’un des six. Un point de bascule inattendu dont seul Philippe va se révéler être le témoin impuissant. L’équilibre du groupe, déjà périlleux car mis à mal par les rapprochements ou les mises à distance inconscientes, va définitivement vaciller et sortir les jeunes de leur innocence pour les confronter au vide d’une absence inattendue, inexpliquée et inexplicable. Défi, défiance, envie, offense ? Pourquoi cette disparition ?
« Et puis, c’est ça, avoir dix-huit ans, être dans l’instant, ne pas s’encombrer du passé, y compris le plus récent, et être dans l’insouciance, ne distinguer de gravité nulle part, ne pas prêter attention aux détails, considérer que les détails n’ont pas d’importance, ne pas savoir que ce sont eux qui en ont le plus, de l’importance. » (p.155)
Philippe Besson raconte sous la forme d’une fiction un fait divers que lui-même a vécu lors de son adolescence. Je ne vous cache pas le trouble qui s’est emparé de moi alors que je fermais le livre, lu en quelques heures à peine, en pensant au mystère de ce fantôme – la part à jamais manquante – qui continue peut-être à errer sur l’île. Une béance à laquelle Philippe Besson donne corps et consistance dramatique, tout en narrant ce que fut l’adolescence d’autrefois.
« je songe à ce que parfois les gens nous disent entre les mots et qu’on ne relève pas, à ce qu’ils nous montrent d’eux et qu’on ne regarde pas, parce qu’on est affairé ailleurs ou simplement distrait, parce que la vie d’autrui au fond ne nous intéresse pas tant que ça, ou parce qu’on ne sait pas que celui qui, de loin, semble nager peut en réalité être en train de se noyer. Je songe à nos indifférences, nos désinvoltures qui, la plupart du temps, sont sans conséquence et qui quelquefois s’avèrent coupables. Je songe à ceux que nous laissons partir sans comprendre qu’ils nous suppliaient en silence de les retenir. » (p.195)
Conte cruel et issue funeste, parfois il y a des soirs d’été lors desquels rien ne pourra à jamais plus être effacé…
« Vous savez, vous, pourquoi il faut que les belles histoires finissent mal ? » (p.10)
« Un soir d’été« , Philippe BESSON, éditions JULLIARD, 2024, 204 pages, 20€.

Déjà dans la PAL ! Incontournable quand on est du département 😉
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Alors là c’est tout simplement obligatoire ! 😉
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