A dévorer !

« L’été sans retour », Giuseppe Santoliquido : le voile que l’on déchire

Sandro Lucano vit depuis son enfance dans le petit village de Ravina, dans le nord de l’Italie. Un village où tout le monde se connaît, faisant de la solidarité une valeur clé de son savoir-vivre. Pourvu que chacun se conduise avec honnêteté, alors tout va bien. On y reste pour vieillir, aussi les jeunes préfèrent-ils souvent partir, afin d’espérer de vraies perspectives de vie, et non la répétition à l’identique de mêmes journées qui s’étirent à l’infini.

Tout le village fait front pour chacun des siens. Une logique de clan aux règles tacites et séculaires. Ainsi, lorsque Sandro perd ses parents dans un terrible accident de voiture, il est recueilli par Pasquale Serrai, le vieil ami de l’ombre de toujours, taiseux, laborieux, préférant la compagnie de ses champs d’olivier et de ses bêtes à celle des autres hommes, qui l’ont trop souvent asservi à leurs besoins pour sa force et sa capacité à endurer le joug des travaux pénibles.

Sandro retrouve un semblant d’équilibre auprès de Serrai, de sa femme Bianca et de leur fille Lucia. Chaque membre de la famille Serrai œuvre à rattacher Sandro à la vie. Ce dernier, infirmier de métier, peine à faire cautériser la plaie béante de l’orphelin qu’il est devenu.

« Si les Serrai ont agi de la sorte, c’est pour honorer la mémoire de mes parents, mais aussi par générosité. Par bonté d’âme. Ce sont des gens de cœur. » (p.47)

Lorsqu’un nouveau médecin arrive pour sauver le village du désert médical, gangrène provinciale que tout pays connaît, Sandro sympathise très vite avec lui. De fait, il trouve en Aurelio un alter ego salvateur. Mais la nature de leur relation n’est pas du goût des habitants de Ravina qui, au nom d’une pseudo-bienpensance, affligent à Sandro une ratonnade à « vertu exemplaire ». Mis au ban du village, même de la famille Serrai, le jeune homme se mure dans la solitude et le chagrin de ce qui a été et ne sera plus.

« Que me restait-il à présent ? Plus rien ne semblait s’opposer à ma chute dans l’infinie noirceur du cauchemar. » (p.180)

Ne l’en fait sortir que le drame qui va agir tel un cataclysme dans Ravina : Chiara, la nièce des Serrai et cousine adorée de Lucia, est enlevée un jour de fête. En seulement quelques minutes et sur quatre cents mètres, l’impensable se produit.

« Comment concevoir qu’une adolescente de quinze ans disparaisse sans crier gare, comme aspirée par un trou noir, sur cette bande d’asphalte longue de quatre cents mètres et habitée de part en part, séparant son domicile de chez les Serrai ? » (p.121)

Aussitôt, une vague de solidarité se met en place dans le village, et chacun d’œuvrer avec le zèle des désespérés. Mais les vautours médiatiques flairent le sang à venir et Ravina est assiégée par des équipes de tournage avides de faits divers susceptibles de booster l’audimat des chaînes : pourvu qu’il y ait des larmes, du pathos et ce qu’il faut de rebondissements, alors tout va forcément bien, même au cœur des plus grands malheurs.

« Et quoi de meilleur, pour susciter une émotion collective, hormis le sport, qu’un nouveau fait divers ? » (p.250)

Spectateur de l’ombre de tout ce cirque affligeant, Sandro doute : qui a pu enlever une adolescente de quinze ans ? dans quel but ? Peut-on encore espérer une issue heureuse ?

Plus les jours passent, plus l’étau se resserre sur des indices qui émergent et sèment le trouble. Des tensions, larvées, se font jour. Et si derrière la disparition de Chiara il était question de vendetta ?

« Car les gens, à Ravina, bien qu’emmêlés dans leurs réseaux aux chaînes compliquées, avec leurs passions et leurs haines enracinées dans la nuit des temps, si on leur en laisse l’opportunité, finissent toujours par vider leur sac. » (p.62)

Giuseppe Santoliquido livre un récit d’une grande force, notamment en sublimant avec un tact littéraire inédit (j’ose et assume cette formulation) les déchirements intérieurs et les atermoiements personnels, que l’on tait normalement. Parce que la coutume populaire l’exige. L’écrivain propose également une réflexion édifiante sur la cruauté des médias à ronger les os que la populace veut bien lui livrer le temps d’un boost de l’audimat.

« On abusait de façon odieuse, avec une affectation cynique d’empathie et de bienveillance, de ces gens broyés par la souffrance. » (p.152)

L’arène des hommes est cruelle. Cet été sans point de retour possible, Sandro le narre avec pudeur, multipliant les allers-retours dans une temporalité qui peu à peu donne corps au drame en germe. Suggérer pour mieux frapper les esprits : Giuseppe Santoliquido, de sa plume élégante, l’a bien compris…

Un coup de cœur absolu !


L’été sans retour, Giuseppe SANTOLIQUIDO, éditions GALLIMARD, 2021, 263 pages, 20€.

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