A dévorer !

« Célestine », Sophie Wouters : sombre soleil…

Attention : bombe ! Ce récit est une pépite, il se lit en apnée et on en sort bouleversé. Une claque littéraire…

La petite Célestine naît tragiquement en 1956 : alors que sa mère est enceinte, la voiture de ses parents a un terrible accident. On fait naître Célestine en urgence. La petite orpheline est recueillie par la tante Berthe, une matrone imposante et rigide qui a toujours refusé d’avoir des enfants, et son mari Aristide, tout entier soumis à son dragon de femme. Un bonheur simple, économe que la venue de la petite n’entrave pas.

Célestine est élevée dans un cadre d’une grande rigidité : il en va de son éducation morale, foi de Berthe. Aussi, lorsque le curé de la paroisse entend lui mettre Dieu dans le crâne, c’est dans la moiteur de la sacristie qu’il s’y emploie… L’homme n’est-il pas de chair, après tout, confesserait-il : que les bonnes gens lui pardonnent, car Célestine est d’une beauté merveilleuse. Une beauté qui s’ignore, modeste, pas orgueilleuse pour un sou. Alors, les abus du prêtre à son égard, elle les tait, honteuse. Dans l’incompréhension la plus totale de tels agissements…

« Elle ne connaissait pas encore celui [pouvoir] de sa grande beauté et encore moins les sortilèges que celle-ci lui avait jetés. » (p.20)

Les choses, en grandissant, ne s’améliorent pas. Certes, la petite fille devenue jeune adolescente est encore plus belle que jamais. Une apparition divine, diront certains. Mais une telle beauté suscite bien des convoitises et des jalousies dans ce petit village de province. Or, Célestine ne pense pas à mal. Jamais. Silencieuse, discrète, serviable, obéissante et excellente élève, on ne saurait lui reprocher son exemplarité de tous les instants. Pourtant, autour d’elle, on est prompt à vouloir ternir l’éclat sans ambages de la solaire Célestine : à trop irradier, ne risque-t-on pas auprès d’elle l’aveuglement ? Célestine est un danger qui s’ignore, penseront les mauvaises langues, si déliées derrière leurs rideaux de coton…

« Des femmes se surprirent à avoir des envies de meurtre, certaines en rêvèrent même la nuit. Célestine leur rappelait l’injustice et l’insolence que représentait le hasard de la beauté, mais mettait surtout en exergue de la façon la plus impertinente (mais « pertinente » serait juste aussi) la fragilité de leur couple et donc, il va de soi, de leur vie. » (p.86)

C’est bien là le risque dont toute son enfance et toute son adolescence elle est menacée et menaçante. Aussi tante Berthe la maintient-elle dans un carcan de fer. Mais les désirs des hommes peuvent devenir fous et incontrôlables. Ainsi, alors qu’elle est promise à un radieux avenir et aux plus douces promesses qu’elle pouvait espérer, Célestine, déjà éplorée par le funeste destin de ses parents, subit l’outrage ultime. Le point de non-retour qui scelle devant les Assises des mineurs le destin d’une jeune fille condamnée par l’injustice des faits, par l’ignominie des hommes.

Sophie Wouters signe avec ce premier roman le portrait extraordinaire d’une jeune fille dont on peinera à oublier le visage, tant on s’attache à son destin ponctué de heurs et de malheurs. Le dénouement, terrible, nous laisse pantois. Et plus que jamais on comprend alors que nous venons de lire le chemin de croix d’une martyr, sacrifiée sur l’autel des désirs primaires. Un conte cruel, dans lequel la morale est mise à mal…

Une claque.


Célestine, Sophie WOUTERS, éditions POCKET, 2023, 118 pages, 6.40€.

Laisser un commentaire