
Forte de mon enthousiasme pour le premier roman de Sophie Wouters, Célestine, je me suis empressée de découvrir son second roman. Si je retrouve la qualité littéraire de sa prose et le sens des phrases qui tombent parfaitement juste (je lui soupçonne un talent de la formulation très « nothombien » qu’elle ne pourrait à mon avis pas renier), je n’ai pas eu le plaisir escompté du contenu narratif.
Pourtant, le récit s’annonçait prometteur : en 1969, une famille modeste sicilienne, les Faratelli, est obligée de migrer en Belgique pour espérer une vie meilleure. L’exil, contraint et subi, doit permettre à Fernando et Simonetta de vivre dignement, et tant pis si c’est à la sueur de leur front. Le courage ne leur manque pas. C’est donc déterminés que toute la petite famille quitte son île chérie. Simonetta est embauchée comme femme à tout faire de la riche famille Van Molsen. Si le couple Faratelli est aimable et aimant, le coupe Van Molsen est non seulement physiquement repoussant mais aussi humainement antipathique : froid, dédaigneux, sans bienveillance ni empathie aucune. Heureusement, les enfants des uns et des autres se lient d’une amitié très forte, les enfants Van Molsen allant jusqu’à préférer les parents Faratelli aux leurs. Quitte à susciter, peut-être, la jalousie maternelle d’Henriette Van Molsen…
« Ils me font peur, osera murmurer Simonetta à Fernando, une fois Henriette Van Molsen sortie de la conciergerie. Surtout Madame, avait-elle tout de suite ajouté. […] Et l’avenir lui prouvera qu’une fois encore son instinct ne l’avait pas trompée. » (p.33)
« Comme elle, il sentait pour une raison qu’il ignorait une toile d’araignée se tisser autour d’eux et c’est avec cette très désagréable et obscure intuition qu’il se rendit au travail. » (p.99)
Et le récit d’évoquer, sous forme d’instantanés de vie(s), des moments clés sous leur apparente banalité : les retrouvailles sur la côte de la mer du Nord avec les cousins siciliens, à jamais perclus du chagrin de n’avoir pas de descendance ; la journée à la foire des Faratelli avec tous les enfants ; les anniversaires… Il se passe au final assez peu de choses : le temps s’étire, et chacun vieillit. Des amitiés se scellent, des amours naissent, des passions adultères sont découvertes…
Au final, Sophie Wouters conte dans son roman au titre si joliment bien trouvé que chaque famille a son propre esprit et que, si l’on naît dans une famille donnée, il n’est pas forcément obligatoire de s’y sentir chez soi, parmi « les siens ». Il est coutume de dire que l’on ne choisit pas sa famille : heureux est-on lorsque la famille est riche de valeurs et aimante. Mais lorsqu’elle se veut dysfonctionnelle, bancale, il est alors compliqué d’y grandir. Et l’envie de fuir légitime, pour trouver sa famille, celle de cœur. Faire fi de l’instinct grégaire pour trouver une autre façon d’être, entouré de ceux que l’on choisit.
« Puis, je tiens à vous faire remarquer qu’il n’y a pas de supérieur ou d’inférieur, mais qu’il n’y a que le hasard de la naissance et ce que l’on en fait ! » (p.109)
Esprits de famille, Sophie WOUTERS, Editions HERVE CHOPIN, 2024, 122 pages, 16€.
