« Célèbre », Maud Ventura : fame monster (rentrée littéraire 2024)

Cléo Louvent le sait : elle deviendra une star. Elle sera une célébrité. Il faudra compter avec elle, qu’on se le dise. Une évidence pour elle, depuis son plus jeune âge.

« Il faut de grands rêves pour faire de grandes choses. » (p.42)

Intellectuellement brillante, jolie et surtout, surtout, déterminée, Cléo n’a de cesse de mener à bien son destin. Nous ne parlerons pas de projet, car devenir célèbre est dans son ADN. Il s’agit simplement de faire en sorte que sa véritable identité de star éclate au grand jour.

« je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte. Pour moi, l’injustice suprême serait que mon génie passe inaperçu. Je suis exceptionnelle, mais je crains que jamais il ne me soit permis d’en faire la brillante démonstration. » (p.79)

Pourtant, les débuts sont laborieux. Certes, elle excelle dans ses études. Certes, elle témoigne d’un talent évident pour le chant et la musique, mais ses compositions personnelles sont des fiascos. Se contenter de reprises le temps d’une soirée, ça n’a qu’un temps.

« Je ne suis célèbre et brillante que dans ma tête – et mes rivales ont la voie libre. » (p.74)

Alors, comme nombre de jeunes gens affamés de gloire et prêts à tout pour réussir, Cléo accepte sans rechigner de manger son pain noir : elle émigre aux États-Unis, terre native de son père, travaille dans une librairie et, le temps restant, tente de percer. Rien d’ingrat non plus là-dedans : pour Cléo, c’est une histoire de patience. Tout vient à point… n’est-ce pas ?

Les efforts de la jeune femme sont payants, et là pourrait s’arrêter le roman, le happy-end du parcours initiatique de notre héroïne s’achevant par sa consécration dans le monde musical et son intégration à la stratosphère des célébrités. Un récit d’apprentissage 3.0, somme toute.

Mais Maud Ventura n’en a pas fini avec Cléo. Devenue star et mondialement célèbre, l’écrivaine nous propose le pendant caché de la renommée : exigences, mépris, ingratitude… Lucide sur sa dualité mais avant tout plus que jamais persuadée de son bon droit à régenter son monde (et le monde à ses pieds) comme elle l’entend, Cléo use et abuse d’un despotisme que chacun lui pardonne. Après tout, il s’agit de Cléo Louvent, et on ne saurait s’opposer à elle et la défier.

« Je suis rentre-dedans, fonceuse, sèche, brutale. Je dois me rendre à l’évidence : un bulldozer n’a rien à faire avec une pâquerette. » (p.493)

Tour de force littéraire que de faire de cette héroïne une figure pour laquelle on ressent à bien des reprises de l’empathie, dans la force de sa détermination à réussir, le prix des sacrifices auxquels elle consent, le sang des scarifications qu’elle s’impose en guise de punition lorsque ses objectifs ne sont pas atteints. Et puis, à l’inverse, Cléo suscite également mépris et horreur de par son orgueil et son ego sans limites, monstre tyrannique et arrogant qui comprend que l’ascension au rang de star confine paradoxalement à l’isolement et à la perte progressive de la liberté d’une vie normale, sans frein, sans entrave.

« Je suis sur le point d’intégrer cette règle universelle : plus tu es célèbre, plus tu leur appartient. » (p.344)

Dénonciation du star-system, de ses victimes, aussi anonymes (pauvres hères qui triment sous les injonctions de Cléo) qu’illustres ? De toute évidence, oui. C’est fait avec intelligence. Et puis, de l’Olympe à la chute, il n’y a parfois qu’un pas, que le monde des people nous rappelle au quotidien…

Croire en soi, en sa bonne étoile : un droit inattaquable. Mais prétendre remplacer la lune, peut-être pas… Maud Ventura questionne l’humanité qui demeure en une héroïne devenue certes une star, mais qui semble dépossédée de toute conscience de ses pairs (et impairs) : quels liens demeurent avec la réalité lorsque la starification vous en éloigne et vous enferme dans votre cage dorée ?

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Célèbre, Maud VENTURA, éditions L’ICONOCLASTE, 2024, 541 pages, 21.90€.