A dévorer !

« Jessica seule dans une chambre », Joy Majdalani : ultra-moderne dépendance

En ce soir d’Halloween, Jessica éprouve la cruauté de la solitude : aucun plan auquel on la convie, l’ennui pour seule perspective dans son petit studio de 16 mètres carrés. Un détour sur les applis de rencontre lui offre l’excitation inespérée : rencontrer à deux pas de là un certain Justin. Trente minutes ne seront pas de trop pour que la jeune femme de vingt-trois ans prépare la mise en scène de son corps pour mieux ferrer sa potentielle proie.

Rien n’est gagné quand Jessica et Justin se découvrent : si le jeune homme craque immédiatement pour l’avion de chasse qu’est Jessica, l’inverse n’est pas réciproque, et Jessica pense même s’enfuir du troquet. Pourtant, elle reste, mue par un instinct de conquête que la découverte d’une ex somme toute assez présente, Louise, fouette d’orgueil. Justin sera sien, qu’on se le dise.

« Jessica sentit une révolte monter en elle, diffuse, puis, très vite, tonitruante, un appétit pour cet homme encombré de tristesse qui n’attendait que Jessica – inégalée – pour oublier tout à fait qu’il avait été malheureux. Elle chercha d’abord à résister à cet élan qui la rendait monstrueuse, cette urgence qu’elle ne pouvait pas vraiment nommer : elle se situait entre le désir, la haine, la colère et – déjà, fugace mais perceptible – l’amour. » (p.41)

Jessica multiplie alors à l’infini tous les stratagèmes pour s’assurer le monopole de son nouvel amant : elle ne peut que surpasser cette rivale qu’elle imagine encore dans les bras de Justin. Louise devient son obsession, l’ennemie à terrasser une bonne fois pour toute. Au final, reste-t-elle avec Justin par véritable amour ou pour s’assurer la fierté d’être celle qui le réconcilie avec la vie ? Jessica part en croisade, sans se douter que Louise, elle-même fouettée par le spleen d’une vie personnelle réduite à néant et des perspectives professionnelles initialement brillantes en voie de périclitation, est progressivement mue par un instinct de conquête… de cette nouvelle prétendante au titre de compagne de Justin.

« Elle aurait voulu se rendre invisible pour surveiller toujours Justin et cette fille. […] Être le souffle parasite qui gâcherait chacun de leurs coups de fil. […] Se faire muette et minuscule, être partout. » (p.110)

Que Louise ne s’offusque pas. N’est-elle pas celle qui a mis un terme aux six années de relation avec Justin, parce que murée dans un ennui profond ? Sauf que, piquée par le regain d’énergie amoureuse de Justin et profondément malheureuse d’être seule, Louise jette son dévolu sur Jessica : nouvelle ennemie, futur alter-ego ?

« Jessica, elle, voulait tout savoir. Plus elle en savait, plus elle souffrait. » (p.48)

Un triangle amoureux se met en place, avec un Justin bien insipide dans ce ballet féminin qui se juge et se jauge aux quelques mots qu’il daigne bien accorder pour rassurer l’une et mettre à distance l’autre. On comprend aussi que l’homme n’est qu’un prisme à travers lequel deux rivales s’échauffent elles-mêmes pour faire émerger fascination et stratégie d’éviction.

« Elle s’est attachée à Louise pour garder Justin, à Justin pour atteindre Louise, il n’y a pas de résolution possible à ce syllogisme. » (p.227)

Quel duo s’effacera au profit du duel ? Ou quel duel se confondra possiblement en duo ? Toutes les équations s’avèrent possibles, et notre trio de les esquisser, avec plus ou moins de bonheur.

« Jessica travaillait contre elle-même. Elle avait ouvert une brèche dans leur vie à travers laquelle Louise pouvait aller et venir à son aise. Le spectre prenait de la consistance à chaque fois qu’on l’invoquait. » (p.154)

« Un personnage secondaire combatif, qui ne se laisserait pas évincer. Elle avait droit à sa scène d’apothéose. » (p.194)

Un récit addictif sur le désir, le rapport à l’autre dans ce qu’il questionne d’autonomie et d’indépendance. Un joli coup de maître à l’ultra moderne classicisme, osons le dire.


Jessica seule dans une chambre, Joy MAJDALANI, éditions GRASSET, 2024, 233 pages, 19€.

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