A dévorer !

« Révélée », Renée Knight : la femme blessée

En emménageant dans leur nouvelle maison et en laissant leur fils Nicholas voler de ses propres ailes au sein d’une collocation d’étudiants, Catherine Ravenscroft espère vivre des moments apaisés auprès de son époux Robert. Si ses journées consacrées à son activité de journaliste lui permettent de s’occuper l’esprit, il n’en va pas de même de ses nuits, passablement agitées.

Lorsqu’elle reçoit un jour anonymement (ou presque) un roman intitulé ‘Le Parfait inconnu », son monde, déjà vacillant, s’effondre : dans ce récit, on y raconte, sous couvert de pseudonymes, un événement tragique de son passé étroitement lié à un jeune homme. Bien évidemment, Catherine se reconnaît. Mais qui se cache derrière l’écriture de ce récit ? Plus que jamais, il lui faut cacher le contenu du texte à Robert. Ou ne serait-ce pas le moment idéal de se décharger du poids du passé auprès de lui en lui révélant tout ?

« Une partie de sa vie qu’elle a dissimulée. Un secret qu’elle n’a confié à personne, pas même à son mari ni à son fils – les deux personnes qui pensent ma connaître mieux que quiconque. » (p.10)

Catherine n’a guère le temps de se retourner, que Nicholas et Robert reçoivent à leur tour le roman. Si Nicholas n’y voit qu’un plaisant bouquin, Robert éclate de rage : en effet, son exemplaire est accompagné de photos très compromettantes de son épouse.

« Elle voit la stupeur sur le visage de Robert. Une onde de choc qui a mis vingt ans à passer d’elle à lui, et qui vient de démolir le mur de défenses qu’elle avait bâti autour de leur vie commune. » (p.145)

Que s’est-il passé cet été-là en Espagne, alors que la petite famille y passait de paisibles vacances avant que Robert ne doive précipitamment rentrer en Angleterre pour ses affaires ? Catherine en a-t-elle réellement profité pour commettre l’irréparable et mettre à mal sa vie de couple ?

« L’auteur a fait d’elle un être vil. A dénaturé son personnage. Il ou elle veut qu’elle s’explique. Pourquoi le ferait-elle ? Elle ne devrait pas avoir à se justifier. Ce n’est pas le rôle qu’on devrait lui attribuer. » (p.62)

Tous les doutes sont permis, et le roman entretient savamment cette piste ô combien cruelle. De même, qui est le maître-corbeau qui manigance ce qui ressemble purement et simplement à une vendetta ? Au cœur du mystère, une femme qui alterne entre force et fragilité, malmenée par les hommes autour d’elle. Les turn-over (au nombre de deux dans la dernière partie du roman) sont inédits et nous ferrent encore plus si cela est encore possible.

Retenons que la thématique intimiste de familles déchirées est le lien qui tisse une narration à deux temps. C’est cruel, poignant, et l’on se prend à alterner entre condamnation et absolution tantôt d’un personnage, tantôt de l’autre. Et de reconnaître nos propres erreurs, nos propres errances de lecteurs : nous aussi nous sommes prompts à juger, semble-t-il.

« Quand on garde un tel secret si longtemps – qu’on n’en parle jamais, qu’on ne l’a révélé à personne – ça devient de plus en plus difficile à avouer. » (p.327)

Révélée est un récit qui se lie en apnée. Très joli coup de maître narratif.


Révélée, Renée KNIGHT, traduit de l’anglais par Séverine Quelet, éditions 10-18, 2015.

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