A dévorer !

« La candidate », Maureen Desmailles : réalité fantasmée

Ophélie a à peine 18 ans mais une vie déjà bien cabossée : pour ainsi dire abandonnée par une mère démissionnaire dans son enfance, peu encline aux études et sans guère d’affection pour sa tante, son avenir dans le Nord de la France a de quoi sembler morose. Un job de vendeuse dans une zone commerciale de banlieue et des appoints financiers comme danseuse en boîte de nuit résument sa routine hebdomadaire.

« Ophélie, dix-huit ans, du Nord de la France.
Ophélie sans diplôme, sans métier, sans passion.
Ophélie sans mère. » (p.273)

L’étincelle ? La rencontre de Massimo, dit « Ma » ou « Mass » lors d’une virée à Nice avec sa meilleure amie. Mass n’est pas n’importe qui. Figure emblématique de la télé-réalité, le « jaguar » caracole sur les réseaux avec plus de huit cent mille abonnés. Le jeune homme s’entiche d’emblée pour sa « carina », la belle « Ophélina ». Pour elle, il roule une nuit entière afin de la retrouver pour son anniversaire. Pour lui, elle veille afin de reprendre leurs échanges, souvent nocturnes, toujours truffés d’erreurs orthographiques. Tocade d’une nuit ou romance en devenir ?

« Elle allume une cigarette devant l’entrée du magasin, le cou tassé dans une doudoune, elle scrolle ses réseaux, piétine, le message de Massimo arrive quand elle ne s’y attend plus. Les mots du matin sont évasifs, brouillés par le réveil, la gueule de bois, la soif, ils s’éclairent une fois qu’il a bu du café. » (p.31)

La vie d’Ophélie bascule lorsqu’on lui propose de candidater pour l’émission de télé-réalité à laquelle participe son amoureux. Le lieu paradisiaque de la villa d’Ibiza ne peut estomper la fatigue des prises de vue, des interviews et des montages savamment mis en scène par une production avide de faire le buzz. Miroir aux alouettes pour des amourettes fabriquées de toutes pièces.

Si Ophélie lutte pour garder sa relation bien réelle avec Massimo, c’est sans compter les pièges qu’on tend pour tenter le séducteur. Et, contre toute attente, c’est au paradis artificiel de ces candidats interchangeables qu’Ophélie va découvrir sa véritable identité, ses véritables désirs.

Tiraillée entre ce que l’on attend d’elle et ce qu’elle souhaite donner, entre son affection sincère pour Mass et ce qu’elle sent poindre en elle, Ophélie s’étiole. Son ascension fulgurante sous les projecteurs est proportionnelle à sa chute, violente mais nécessaire pour se ré-inventer telle qu’elle sait qu’elle a toujours été. Ne plus mentir, être soi. Accepter l’abandon de sa mère pour ne plus abandonner, elle, tout ce qu’elle entreprend. Ophélie renaît. Autrement. Différemment. Réellement.

« C’est horrible, d’avouer sans dire, une plainte qui fait grincer le cœur, les os, tout. Ophélie se découvre des muscles, des creux où la tension se loge, fait des nœuds qui étranglent, tout est retenu, en dedans, la cage, j’étais dans la cage. » (p.203)

Maureen Desmailles livre un roman touchant, à l’origine destiné aux grands ados, mais qui se lit aussi bien en tant qu’adulte. Le monde de la télé-réalité y est décortiqué dans tout ce qu’il a de scénarisé, mais ce serait une erreur d’y coller une image très manichéenne et diabolisée : le propos est sévère, mais sonde avec réflexion les rouages de cette machinerie. Les candidats sont enfin humanisés, ce que les écrans tendent à nous faire oublier, tant la propension aux stéréotypes est forte. Ophélie incarne une héroïne insaisissable, tout comme si cette difficulté à habiter l’instant présent révélait sa difficulté à être en prise avec le monde réel, si dur à son égard. Fuite en avant, fuite ailleurs, avec quelqu’un d’autre. Tant de possibles à 18 ans…


La candidate, Maureen DESMAILLES, éditions THIERRY MAGNIER, 2024, 315 pages, 17.50€.

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