Minnesota, aujourd’hui peut-être… Linda est une jeune fille de quinze ans élevée dans ses plus tendres années dans et par une communauté hippie, aujourd’hui dissolue. Ne restent que des vestiges, auxquels appartient le mode de vie de ses parents, à l’écart du monde et aux antipodes du confort domestique moderne. Un choix assumé, sans considération aucune pour le qu’en-dira-t-on.
« On pensait qu’il fallait voir plus loin que la famille nucléaire. On pensait vraiment pouvoir faire mieux… » (p.24)

Chaque jour, Linda parcourt les huit kilomètres qui la séparent de son lycée, où elle est ostracisée par ses camarades : trop bizarre, « cinglée, « folle »… Les qualificatifs peu élogieux sont légion, mais l’adolescente en fait fi. Seule compte pour elle la vie au grand air, à arpenter ses bois chéris qu’elle connaît par cœur, à naviguer sur le lac de Loose River. Les vastes espaces sont ses terrains de jeu de prédilection.
« Difficile d’expliquer combien j’étais habituée à faire mine de comprendre ce qui se passait dans la vie des autres avant qu’une explication me soit fournie. » (p.132)
Lorsqu’une famille emménage dans leur maison secondaire de l’autre côté de la rive du lac, c’est pour Linda un objet de curiosité : elle a si peu l’occasion de côtoyer des « semblables ». L’occasion lui est donnée lorsque le hasard l’amène à rencontrer lors de l’une de ses longues pérégrinations pédestres Patra et son jeune fils Paul. Très vite, Linda devient la baby-sitter officielle de l’enfant, et une certaine complicité naît. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de sonder le mystère qui semble entourer la famille : un père scientifique absent, une mère qui tient du lutin un peu fantasque et un enfant qui cultive d’étranges paradoxes à quatre ans. La cellule nucléaire n’est pas aussi lisse qu’il paraît, et les croyances semblent se heurter aux théories les plus pragmatiques : tout se passe comme si la pensée était investie d’un pouvoir de contrôle sur les êtres et les choses. Linda, habituée à une perception sensitive des éléments et des faits, perçoit un malaise diffus, qui ne cesse de grandir au-fur-et-à-mesure de notre propre lecture.
« Je ne sais pas si c’est bon pour nous, tout ce silence. Qu’est-ce qui m’a fait croire que cela nous ferait du bien ? […] Peut-être que venir ici n’était pas une si bonne idée que ça, finalement ? » (p.77)
Lorsque l’on retrouve Linda au tribunal pour témoigner cet été-là, on comprend qu’un drame est arrivé. Est-ce un enchaînement logique des faits ou plutôt un destin contrarié qui a bouleversé la quiétude habituelle du coin ?
« Je veux dire que dès le début il faut que tu te poses la question suivante : qu’est-ce que je crois connaître ? » (p.140)
Emily Fridlund propose un roman d’une très grande richesse, autour d’une héroïne absolument atypique, hors le monde et hors du monde, que rien ne semble vraiment atteindre. Pourtant, attirée tel un moustique par Patra et Paul, on ne peut que présager le piège que les fils affectifs tendent autour d’elle. Le récit alterne entre différentes temporalités, mais toutes suggèrent la difficulté de cette jeune femme à être l’animal social que l’on attend d’elle. Emily Fridlund questionne ainsi le déterminisme naturel à travers le portrait d’un personnage sauvage, peu soucieuse de dompter sa vie et aussi peu inquiète d’être domptée par les autres.
« Et quelle est la différence entre ce qu’on pense et ce qu’on finit par faire ? » (p.260) « La proie la plus vulnérable au monde. Une maison pleine de vieux hippies, la fille oubliée. » (p.271)
Un récit de liberté, un récit qui refuse l’idée de contrôle et revendique la possibilité d’être soi.
Une histoire des loups, Emily FRIDLUND, traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliane Nivelt, éditions GALLMEISTER, 2017, 297 pages, 22.40€.
