A dévorer !

« Ta promesse », Camille Laurens : EN GAGE, celui qui MENT

Tout écrivain s’empare en général de ce qui l’environne pour trouver matière à son texte : son passé, sa famille, ses amours, ses combats. Ou du moins, il s’en inspire, manne plus ou moins personnelle mais en général d’une grande richesse.

Aussi, lorsque Gilles Fabian, un metteur en scène spécialisé dans le théâtre de marionnettes, demande à son amoureuse, la célèbre écrivaine Claire Lancel, de lui promettre de ne jamais écrire sur lui, c’est pour elle la consternation. En effet, de son vécu amoureux plutôt malmené et de sa vie personnelle plutôt malheureuse, Claire a engendré nombre d’autofictions auréolées de succès. L’écriture pour y déverser sa psyché, diront certains. Mais c’est sa signature, et jusque-là personne n’aurait songé à redire à ses propos.

« Tu es prise de court, tu n’as pas la moindre idée de ce dont tu voudrais être sûre pour la vie, à part de l’indicible amour. » (p.212)

La demande est d’autant plus inattendue pour Claire que rien ne laissait présumer une telle volonté de la museler : très vite entre elle et Gilles, la passion, les baisers dévorants et les corps dévorés jusqu’à satiété. Il paraît qu’il n’y a pas d’âge pour aimer. Et Claire, elle, aime Gilles jusqu’à se damner.

« Or moi, sincèrement, depuis le premier jour je ne voyais pas comment cet homme, cette merveille d’homme, pourrait jamais me faire souffrir. L’évidence de l’amour heureux, comment la raconter ? » (p.24)

Les débuts sont passionnels et fulgurants : cadeaux, anticipation de tous ses désirs… Son amant se révèle être l’homme parfait, et tous les barrages de Claire cède. L’écrivaine reconnaît et assume volontiers sa tendance à plier au moindre désaccord, aussi apaise-t-elle les quelques ombres qui commencent à apparaître sur le visage de Gilles dès que ce dernier est contrarié. Le vernis si éclatant se craquelle. Les fissures ne sont que détails au début, à peine perceptibles. Mais c’est déjà trop tard ; Claire est ferrée, son sort scellé. Ce n’est pas une histoire d’amour qui nous est contée, mais la genèse d’une haine, d’une misogynie progressivement dévoilée.

« Eh bien c’était mon cas : j’aimais son point de déraillement, sans mieux savoir si cela me plaisait ou me faisait peur » (p.94)

On le devine : Gilles tisse sa toile autour de Claire, l’isole, souffle auprès d’elle le chaud et le froid. Pervers narcissique en diable (et donc diabolique), il réduit sa compagne à être une femme uniquement en demande, quémandant des miettes lorsqu’il daigne les lui accorder. Claire, de son côté, se retrouve progressivement dépossédée de tout, aussi matériellement que spirituellement et sentimentalement. A quoi devra-t-elle son salut, si salut il y a ? Le mécanisme de l’emprise psychologique et affective peut-il être aboli ? Et si rompre la fameuse promesse en était finalement le gage ?

Camille Laurens déroule un double fil dans son récit : celui de Gilles, tentaculaire et asphyxiant sous couvert d’un amour factice ; celui de l’écriture de Claire, désobéissance à valeur d’affranchissement du joug de son bourreau. On retrouve dans son nouveau roman cette prédilection (déjà bien perceptible dans son récit Celle que vous croyez) pour les parcours de vie qui se heurtent et se réécrivent à travers les mots, comme si tout pouvait recommencer, l’écriture étant le seul gage de cette possibilité. La réalité et la fiction se frôlent, se confondent mais jamais ne fusionnent réellement.

« Je m’empoisonnais au souvenir et à l’espérance. » (p.245)

Beauté de livre, célébrant une héroïne pétrie d’humanité, rongée par un manipulateur maladif. Mais la promesse d’en sortir sauve, peut-être ?


Ta promesse, Camille LAURENS, éditions GALLIMARD, 2025, 358 pages, 22.50 €.

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