
Lara porte, à seulement 38 ans, un constat désabusé sur notre époque, sans doute malmenée mais absolument consentante et irrémédiablement dévolue aux écrans. Plus que jamais notre société joue de l’ultra-connection ; contre toute attente, jamais le sentiment de solitude n’a été aussi grand et source de souffrance.
Lara se rappelle son enfance : toute l’ingéniosité et la créativité développées pendant des heures, l’insouciance des jeux en extérieur et surtout un ennui qui n’en était jamais vraiment un… Parce que les sollicitations étaient humaines, charnelles et incarnées, et que chacun faisait preuve d’un art de la débrouillardise souvent étonnant. Et puis Internet et toutes ses tentaculaires ramifications ont tissé une toile qui l’ont emprisonnée elle, Lara, mais aussi et surtout toute la nouvelle génération biberonnée aux écrans. Une intoxication consentante et assumée.
« J’ai l’impression que chez tous ces jeunes les écrans ne font que rendre les peines plus intenses. » (p.97)
Ainsi, alors qu’elle a entrepris une reconversion dans la psychologie, Lara découvre le temps de son stage en unité d’addictologie de jeunes patients, souvent mineurs, parfois dramatiquement jeunes, qui ne vivent plus que par et pour leurs écrans. Les conséquences sont dramatiques, et l’état des lieux nous laisse pantois : violence, irritabilité, repli sur soi, troubles de l’attention ou de l’alimentation… Les revers des écrans sont nombreux et catastrophiques : tant de vies mises en suspens pour le goût trop prononcé et irraisonné du slide…
« Ce sont ces anecdotes auxquelles nous sommes confrontés chaque jour qui s’empilent les unes sur les autres et finissent par construire une tendance, un glissement de notre époque. » (p.32)
Comment notre époque en est-elle arrivée à une telle asphyxie ? Lara (se) pose nombre de questions qui peuvent nous être renvoyées en miroir, tant pour notre propre consommation aux écrans qu’à ce que l’on observe chaque jour, témoins muets de saynètes tantôt amusantes (restons positifs…) ou tantôt consternantes (mon avis personnel). Son analyse est précise, clinique. Implacable.
Lara est particulièrement sensible à cette problématique, reconnaissant aussi que chacun de nous entretient le culte des écrans : difficile aujourd’hui de s’en passer, tant nos actes du quotidien passent à travers le prisme d’une surface vitrée. Sommes-nous coupables de notre propre dépendance, et pas seulement des victimes ?
Victime, elle-même l’a été, d’un pervers narcissique ayant abusé de son autorité sur elle dans le cadre médical. Des photos prises, à jamais prisonnières de la mémoire du WEB, des messages de harcèlement au nauseam… La toile tisse et emprisonne, et nombreux sont ceux qui savent en tirer les fils pour leurs propres desseins.
Triste époque sans doute, qui tend à effectuer un sursaut depuis peu tant les messages d’alerte sur la toxicité des écrans. Le roman, qui relève de l’autofiction, se doit d’être lu pour nous faire réfléchir avec pertinence à notre propre rapport aux écrans. Sans doute n’est-il pas trop tard pour rectifier nos usages… Mais dans tous les cas il y a urgence. Et puis, ne diabolisons pas non plus à outrance ce qui nous est aussi utile : il est avant tout question d’apprendre à utiliser intelligemment ce que la science et la technologie nous offrent, mais sans tomber dans l’excès.
Époque, Laura POGGIOLI, éditions L’ICONOCLASTE, 2025, 254 pages, 20.90€.
