
Hélène a 16 ans mais elle veut tout, pourvu que ça claque, que ça brille et que ça se chiffre en bling-bling forcément haut de gamme. Elle ne vaut pas moins. Sauf qu’à 16 ans, prétendre à du Chanel est un rien utopique. Hélène balaie d’un revers de main ce que son entourage juge comme une « phase » : elle a soif d’argent, elle l’aura.
« Ce que j’aime vraiment dans l’argent, c’est le goût. En fait, l’argent c’est ce que je mangerais si j’avais pas d’estomac. » (p.10)
Sauf que la méthode employée est quelque peu délicate : Hélène entreprend de vendre sa juvénile compagnie à des « chougar daddies » que son « amie » Poppée lui recommande. Les prétentions de la jeune fille, nommée « Tssitssi » pour les besoins de la cause, sont élevées : elle n’attend rien de moins que quelques milliers d’euros pour tarifer sa présence. Derrière chaque pseudo, elle rêve d’hommes d’affaires fringants et ambitieux. Sauf que les « élus » vendent de l’électroménager et vivent en Mayenne, ou bien sont des employés lambdas qui ne rêvent que d’une fille facile le temps d’une étreinte bas de gamme. Aveuglée par ce décalage trompeur, Hélène persiste et signe.
« Si on me regarde à ma juste valeur, mon meilleur s’exprime. Sinon, je ne supporte pas de ramer. C’est vraiment pas dans mes gènes, le côté perdante qui essaie encore. » (p.140)
Néanmoins, ses prétentions baissent au-fur-et-à-mesure de ses désillusions. Elle troque et brade son corps, son âme, espérant toujours mieux demain, ailleurs. Le prix à payer, peut-être, pour engranger les précieux billets. Mais le sacrifice devient mise en péril lorsque la jeune fille abandonne tout honneur pour autre chose encore. La mise en danger à chaque fois poussée plus loin, et à défaut de s’élever dans la stratosphère du bling, Hélène s’enfonce dans la fange du libidineux.
Et l’on comprend, au dernier tiers du récit, que la quête monétaire d’Hélène n’est qu’une fuite en avant de sa vie réelle. Son sombre alter-ego de pacotille, Tssitssi, exacerbe un sentiment de souffrance et un besoin d’ailleurs ou d’autre chose (la clé nous est donnée, pas d’inquiétude) que le présent lui refuse. Ce hic et nunc, c’est celui d’un quotidien plutôt morose avec son père, tout entier soucieux du bien-être de sa fille et passablement permissif. Et avec eux, ou autour d’eux, « la mère des jumeaux », jamais nommée, toujours mutique, présente mais comme invisible, spectatrice silencieuse.
Portrait d’une jeune fille à vif pétrie de souffrance, qui veut devenir grande et faire comme une grande mais qui se torpille par ses touchantes erreurs et l’ignardise propre à sa réelle candeur, Tssitssi est un récit qui bascule d’une relative antipathie pour une Hélène tête-à-claque à une empathie sans réserve lorsque l’on comprend la béance que constitue son drame personnel. On sort du roman passablement ébranlés. Un joli coup de maître littéraire, donc.
Tssitssi, Claire CASTILLON, éditions GALLIMARD, 2025, 166 pages, 18.50€.

Pas encore lu Claire Castillon… ce sera une occasion ! Merci pour ton analyse. 😉
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Attention, style bien particulier. Il faut persévérer et alors l’évidence. Bonne lecture 🙂 !
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Merci du conseil…
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