A croquer

« La femme qui est dans mon lit », Anne Révah : philogynie ++

Claire et Sam sont des jumeaux fusionnels, que la vie n’a pas épargnés : leur mère, Gisèle, a consumé son désespoir et sa vie dans l’alcool pour éteindre la douleur d’un corps qui jamais n’a plus voulu enfanter malgré son rêve de grande famille ; leur père, Armand, meurt trop tôt dans un accident de la route. Alors, pour ces enfants devenus trop tôt orphelins, il a fallu réagir. Et c’est sans l’aide de personne que Claire a pris les rênes. Volontaire, déterminée, solaire : c’est elle qui parle, qui décide. Dans son ombre, sciemment muet, Sam. Sa sœur est son fort, son rempart contre les mauvaises langues qui commentent et jugent cette symbiose si singulière.

« On murmurait sur Sam, l’alien repoussant qu’on aurait aimé voir s’éclipser tant il était une énigme. » (p.13)

« Il avait ses appétits de solitude, il ne pensait pas, il prenait le monde par ses perceptions, ses yeux, des heures immersives et jubilatoires, sans mots, sans rien qui le relie aux humains. » (p.118)

Aussi, frère et sœur vivent-ils en reclus. Travailler n’a de fonction pour eux qu’alimentaire, et ils se gardent bien de frayer avec leurs collègues. Seule Claire rend épisodiquement visite à Jean, son ami de lycée amoureux transi de la jeune femme. Éperdu d’amour pour elle, il a fait le vœu secret de lui vouer sa vie entière, même sans la réciprocité du sentiment, pourvu que Claire soit à jamais présente dans sa vie.

« J’étais épouvantablement jaloux, encombré par mon dépit et ravagé par mon envie. » (p.25)

Mais ce sacrifice sciemment consenti devient difficile à vivre lorsque Claire lui déclare multiplier les rendez-vous avec des amants d’un soir. Dans un motel passablement sordide d’une bourgade insipide, la jeune femme cultive une double vie que Jean et Sam pensent être réservée à des hommes. La réalité est différente, difficilement avouable. Terriblement addictive. Claire a besoin de ces corps alanguis, ces doubles de chair qu’elle ne reverra pas mais qui la font se sentir si délicieusement vivante.

« Elle était emportée, vertigineuse, elle devait se maintenir raide et solide. Mentir était une lente construction, une issue, elle s’y perdait. » (p.65)

« Elle n’avait aucune raison de chercher l’amour, son amour elle le destinait à son frère. Elle était envoûtée par les corps, et ne parvenait pas à y renoncer. » (p.78)

Aussi, lorsque des cadavres de femmes mutilées sont retrouvés ici et là dans la petite ville des jumeaux, tout et tous semblent vouloir accuser Sam, idéalement étrange et insaisissable pour devenir LE coupable. Il faut dire que sa collection de couteaux, sur laquelle il veille jalousement, peut le confondre. Mais n’est-il pas un coupable un peu trop parfait ?

« L’engrenage et l’impasse. Elle avait encore le vertige. » (p.174)

Et le lecteur de comprendre que ce trio a bien des motifs pour sombrer dans l’illégalité et le crime. Ou, pour le moins, de l’engendrer pour mieux se protéger. L’amour destructeur, le sacrifice de soi pour compenser le don de l’autre… Des thématiques riches pour un récit d’une force certaine, au dénouement troublant et déroutant. La gémellité a de quoi faire songer et inspirer…


La femme qui est dans mon lit, Anne REVAH, éditions MERCURE DE FRANCE, 2025, 183 pages, 18.80€.

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