
Christophe est quelque peu bousculé par son père alors qu’il sort à peine de l’adolescence. Alors, pour le faire taire et revendiquer son indépendance, il quitte sur un coup de tête Nantes pour filer à Saint Jean de Monts, où les petits jobs sur les longues plages vendéennes sont l’équivalent de l’eldorado américain… quand on cherche à s’émanciper le temps d’un été.
Sur place, il découvre une station balnéaire populaire, saturée autant par le béton que par de modestes touristes, avides de vacances bon marché. Christophe est embauché par Michel pour rejoindre son équipe de vendeurs de chouchous : chaque jour, pendant trois longues heures, même sous un soleil de plomb et sur un sable brûlant, il s’agit d’arpenter des plages attribuées à chacun afin d’écouler le stock de cacahouètes. Si Christophe trouve l’entreprise quelque peu ingrate, il a conscience que manger son pain noir est une étape nécessaire pour espérer mieux.
« On dirait que je me regarde faire : je me trouve insuffisant, mais je suis aussi incapable de me corriger, le temps qui avance est ma fuite, ma lâcheté : j’attends la fin du sable. Spectateur de moi-même. » (p.35)
Aussi, le temps de quatre étés, au cours desquels il retrouve le même camping, le même patron, la même sympathique bande et la même plage, nous suivons le parcours initiatique d’un garçon qui éprouve tant son endurance physique qu’amoureuse.
En effet, depuis le lycée, il a promis son amour éternel à Anne. Elle-même lui jure sa dévotion, mais pour l’instant elle s’entraîne à en aimer d’autres pour l’aimer lui totalement, seulement et résolument… plus tard. Alors, leur idylle se couche surtout sur le papier, entre deux cartes postales ou les pages noircies d’un carnet que Christophe remplit d’une correspondance fictive avec sa belle amoureuse.
« Nous jouons et nous sommes sincères, les autres autour, ne comprennent rien, pensent qu’elle est cruelle et que je suis maso. Mais ça n’a rien à voir, nos façons de nous aimer sont juste différentes. » (p.83)
Se construire à la dure, sans complaisance aucune et pourtant lui donner une forme quasi-poétique par l’usage de vers libres, voilà tout l’enjeu du récit de Christophe Perruchas. Ainsi, il donne corps (et âme) aux atermoiements de cette transition si délicate et si riche d’enjeux qu’est la fin de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. Rites initiatiques plus ou moins heureux, confrontation avec le pragmatisme d’une réalité pas toujours tendre : grandir n’est pas toujours chose aisée, et il en faut du courage pour s’affranchir de ses timidités, innombrables et bien tangibles.
Un roman délicieusement « nineties » qui s’amuse avec tendresse et mélancolie des codes de la ringardise de l’époque, terreau d’espoirs nombreux et de désillusions à peine voilées. L’apprentissage de la vie est, peut-être, à ce prix…
La fabrique des timidités, Christophe PERRUCHAS, éditions du ROUERGUE, 2025, 277 pages, 21.80€.
