A dévorer !

« Il ne se passe jamais rien ici », Olivier Adam : choeur réfracteur

Dans la petite vallée jouxtant les rives du lac d’Annecy, il ne se passe en général pas grand chose. Le village vivote dans un entre-soi consenti et se réveille lors de l’afflux massif de touristes, attirés par la beauté sauvage des montagnes.

« Tous ces gens que personne ne voyait jamais, à qui on ne prêtait jamais vraiment attention, dans un coin tellement privilégié en apparence. Tous ces asticots sous le vernis de grands chalets, des hôtels de luxe, des plus beaux villages de France. » (p.69)

Mais, alors que l’automne arrive et que la saison s’achève, l’assoupissement général des uns et des autres est contrarié par le meurtre de « l’une » d’entre eux : la belle Fanny, jeune femme solaire, star du village, est retrouvée morte dans les eaux du lac. Tout le monde connaissait Fanny : certains travaillaient avec elle, d’autres faisaient régulièrement la fête avec elle ; d’autres encore l’aimaient, le temps d’une nuit… Parmi eux, l’amant de toujours, maudit et malchanceux en diable : Antoine Terrier, fils de l’orgueilleux Alain et frère du prestigieux chirurgien Benoît. A côté de ces figures masculines, Antoine passe pour un raté. Et, il l’assume, sans doute se complaît-il à saboter tout élan positif de sa vie : père à mi-temps, salarié en pointillé… Seules les soirées arrosées et enfumées célèbrent tristement son apothéose de fervent pilier du bistrot.

« Antoine. Ce mec a toujours attiré les emmerdes. Toujours à se fourrer dans des mauvais plans. L’art d’être au mauvais endroit au mauvais moment. C’est pourtant pas un mauvais gars, il est juste un peu largué. L’a toujours été. » (p.106-107)

Or, Antoine est le dernier à avoir été vu en compagnie de Fanny la nuit de son meurtre. A deux heures du matin, bras dessus bras dessous, ils ont quitté le Café des Sports. A son réveil, le lendemain, black-out pour Antoine. Mais une seule certitude, cruellement lucide : bien évidemment qu’aux yeux de tous il est le coupable idéal.

« Mauvais vivant. Sacré perdant. Sacré bon client pour la défaite et les abysses. » (p.417)

Pedretti, un natif du village devenu policier, mène l’enquête et interroge les uns après les autres nombre de protagonistes de la bourgade, ayant côtoyé de près ou de loin la victime. Dans ce roman choral, chacun laisse libre cours à des confidences qui dépassent petit à petit les expectatives policières. Non-dits, rancœurs et faux-semblants tissent peu à peu une vaste toile, passablement opaque, entre les habitants du village. La quête du coupable se meut en enquête d’identités. Et les vérités, plurielles, de percer les masques du mensonge et de l’hypocrisie.

« La liesse puis l’horreur. Comme ça, en un clin d’œil. Une ville entière retournée comme un gant. Une vie anéantie. Et avec elle un ouragan qui s’est abattu sur les rives du lac. Depuis qu’on a retrouvé le corps de Fanny, tout semble pétrifié dans la tristesse et l’hébétude. » (p.288)

Olivier Adam donne corps et voix à une riche galerie de personnages. Des redondances, parfois, mais une trame qui nous tient ferrés jusqu’à la révélation finale, réussie car, même si l’on percevait une issue possible (prévisible ?), elle fait le pari de retournements inédits.

Moralité : il peut toujours se passer quelque chose, littérairement et narrativement parlant (ou « écrivant »), même dans le plus paumé des bleds. L’épaisseur textuelle peut naître de l’infiniment insignifiant et se draper d’une richesse inventive (et réaliste) captivante.


Il ne se passe jamais rien ici, Olivier ADAM, éditions J’AI LU, 2025, 444 pages, 8.80€.

2 réflexions au sujet de “« Il ne se passe jamais rien ici », Olivier Adam : choeur réfracteur”

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