A croquer

« La Loi de la tartine beurrée », J.M. Erre : c’est Murphy qui l’a vraiment dit ?

Anna et Jean-Luc Godart (avec un « t », pas avec un « d » comme le réalisateur) sont respectivement psychanalyste et psychologue. Dans leur douillet appartement CSP+, une longue nuit festive vient de s’achever, pendaison de crémaillère oblige. Beaucoup de monde, de l’alcool avec déraison et, au petit matin, une tartine beurrée collée au plafond.

Sauf que, des méandres des moelleux canapés du salon, M. et Mme Godart ne se rappellent, en ce dimanche matin au réveil embrumé, de rien du tout. Strictement rien. Aussi, quand un plombier intervient « parce qu’il a été appelé », qu’un énorme bouquet de fleurs est livré « parce qu’il a été commandé », Jean-Luc, dit JL, s’interroge : jamais il n’a appelé qui que ce soit. On l’aura bien eu, de toute évidence : ce sera là la blague bien potache d’un ami… ou d’un ennemi ?

Les livraisons s’enchaînent et l’appartement asphyxie sous un amas d’objets hétéroclites. Jusqu’à l’arrivée, ou plutôt la mue, d’un intrus : peut-être la somme de tous les fantômes psychanalytiques de nos deux protagonistes. Après tout, JL Godart n’a-t-il pas écrit un vaste essai psychologique sur les emmerdements ? Autant dire que l’essai se transforme en ce dimanche matin en franche expérience : de quoi aider JL à théoriser davantage encore sur la gestion de ces emmerdes qui sont notre lot quotidien, peut-être révélatrices de ce que notre inconscient tient à distance.

« Les emmerdes s’accumulent et, si l’on n’y prend pas garde, ils viennent ronger notre confiance en nous, altérer notre équilibre intérieur, gâcher la beauté du monde. Les emmerdements envahissent alors l’entièreté de notre champ mental. Je propose donc des exercices pour déplacer le point focal et… » (p.38)

Si les deux tiers du récit se savourent de bons jeux de mots et de saillies jubilatoires, le dernier tiers devient improbable. Mais j’y vois là l’entreprise intellectuelle générale de l’écrivain qui, dès les premières lignes du roman, rompt l’illusion romanesque : les procédés diégétiques du romancier sont exposés, commentés. Et le récit de se transformer en pur objet littéraire, réflexion d’un certain work-in-progress désinhibé.

« C’est là qu’on voit que c’est vicieux comme affaire. Quelqu’un me manipule dans l’ombre, vous voyez ? Limite si on ne voudrait pas me faire passer pour un paranoïaque. (p.107)

Une tartine littéraire dans laquelle on croque donc volontiers. Reste à savoir : de quel côté retombera-t-elle finalement à la fin du roman ? Les emmerdements jusqu’au bout, fatalité oblige ? Après tout, c’est Murphy qui l’a dit…


La Loi de la tartine beurrée, J.M. ERRE, éditions BUCHET CHASTEL, 2025, 199 pages, 19.50€.

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