
Theresa et Jackie se rencontrent de manière fortuite à la maternité. Toutes deux viennent d’accoucher, mais c’est Jackie qui, la première, voit en Theresa la possibilité d’une amitié : calme, posée, tout semble irradier de simplicité autour d’elle, alors que Jackie a conscience que sa vie à elle est bien terne.
Les deux accouchées deviennent voisines à Hot Springs Drive, et les liens se resserrent : si Cece est la fille unique de Theresa et d’Adam, Jackie offre à son mari Nick une quasi équipe de foot avec quatre garçons. Si le chaos règne au sein du foyer de Jackie, les Linden cultivent à l’inverse les valeurs d’ordre et de propreté.
« Et là, le jour où Theresa rencontre Jackie Stinson, c’est là que l’histoire – celle que les voisins, les connaissances, les journalistes et les fondus de faits-divers aiment tant répéter -, c’est là que cette histoire commence. » (p.20)
Alors, Jackie s’enfonce dans la gloutonnerie : son corps, meurtri par de nombreuses grossesses, s’empâte, jusqu’à devenir énorme. Refuge pour compenser un manque ? Cette mère courage, aux rondeurs rassurantes, s’étiole progressivement, jusqu’à ce que Theresa lui propose de prendre le problème en mains, et à deux. C’est le déclic pour Jackie : elle renaît femme avec un corps sculptural, dont elle devine les attraits et les appâts. Elle qui ne rêvait que nourriture en vient à l’extrême inverse : suçoter des glaçons et carburer au café noir doit pouvoir lui suffire. Mais s’il est un mets dont elle sait qu’elle peut abuser sans se priver et se goinfrer jusqu’à l’envi, c’est le désir. Sauf que ce n’est pas son mari qui devient la victime du nouvel appétit de Jackie, mais Adam, le mari de sa meilleure amie.
« Au lieu de faim, j’allais appeler ça désir. C’était ça, mon point de départ. » (p.62) « Il me le fallait tous les jours. Tous les jours, sans exception. Ancien gros tas, esclave de mon appétit, je n’étais plus qu’un vide sidéral. » (p.119)
On aurait là un adultère des plus classique si derrière Jackie il n’y avait pas l’ombre de son fils aîné, l’étrange Douglas, qui voue un culte à sa mère depuis sa tendre enfance ; si entre Cece et Jayson, le deuxième de la fratrie, il n’y avait pas une tendre inclination que personne ne pourrait blâmer.
Seulement, Theresa découvre les deux amants en pleine action et le lendemain, on retrouve son cadavre dans le garage, le crâne sauvagement défoncé. Qui l’a tuée avec une telle violence et pourquoi ?
Au-delà de l’énième récit sur un couple adultère, Lindsay Hunter livre un roman polyphonique intelligent qui entend démontrer les rouages de l’emprise (émotionnelle – affective – sexuelle…). On pourrait penser que Jackie est la première coupable, mais le propos se fait plus incisif quand il s’agit de démontrer le poids qui pèse sur les femmes dans une société qui exige d’elles tellement.
« A propos de nous. Etions-nous amies, ou étions-nous juste deux spécimens de la même espèce, empêtrées dans les attentes des autres ? » (p.299)
Si Theresa est la première victime physique du roman (en cela, le narrateur nous le révèle dès les premières pages), on comprend que le cercle des victimes est bien plus large et que les conséquences post-adultères sont bien plus terribles peut-être que le drame en lui-même.
« il ne lui restait que le profond regret de ne pouvoir revenir en arrière, prendre une autre direction, et effacer tout ce qui s’était produit en eux. » (p.221)
Tout le texte respire et écrit un désir polymorphe dont la complexité est remarquablement bien contée. Il s’agit clairement de considérer le roman non pas comme une énième romance mâtinée de thriller domestique mais plutôt comme une fine réflexion sur ce que des archétypes littéraires peuvent cacher et révéler.
Hot Springs Drive, Lindsay HUNTER, traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, éditions SONATINE, 2025, 310 pages, 22€.

Yes ! Une enquête au milieu d’un adultère, plutôt complexe, je vais apprécier. Dans la PAL.
Merci pour ton analyse et belle fin d’été !
Déçue par un roman de Freida McFadden « La psy », dont on avait fait grand bruit. J’avais deviné l’intrigue assez tôt, alors j’ai lâché le livre bien avant la fin !!!
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Avec plaisir ! Franchement, une découverte sympa car riche de complexité.
Quant à « La psy », j’avais bien aimé malgré des ficelles assez grosses. As-tu tenté « La prof » ?
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Non… tu me le recommandes ?
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Disons qu’il se lit… facilement. Aucune prétention, mais un moment de lecture qui reste sympa.
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Merci à toi !
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