A dévorer !

« La mauvaise joueuse », Victor Jestin : attrape-moi si tu peux…

Ce roman est une course. Effrénée. Haletante. Celle de Maud, une jeune femme dont on ne sait pas grand chose, sinon qu’elle vit confortablement et tranquillement à Saint Nazaire avec Yann. Ce que l’on doit connaître d’elle tient en trois lettres : JEU. Maud est, depuis qu’elle est enfant, accro aux jeux, quels qu’ils soient ou aient été : jeux d’enfants de la cour de récré, jeux familiaux ancestraux ou jeux vidéos. Pour rentrer dans le moule de la « normalité » au collège, il lui a fallu taire son âme d’enfant joueuse plutôt que d’être moquée pour son apparente puérilité.

On ne saurait dire combien il est précieux de garder son âme d’enfant mais, pour Maud, le jeu est une addiction. Une fois lancée, impossible de l’arrêter : elle devient une machine de guerre et gare à ceux qui oseraient transgresser les règles. D’où le fait d’être qualifiée de « mauvaise joueuse » et le souhait, pour Maud, de s’effacer.

« Une série d’incidents m’avait conduite à la certitude que le jeu devait quitter ma vie. » (p.21)

Mais un mardi soir anodin signe sa rechute, abyssale : alors qu’elle cède aux sirènes des jeux sur un téléphone portable, Maud a un accident de voiture. Convaincue d’être coupable, elle prend la fuite. Pendant 72 heures, la jeune femme sillonne les routes entre Saint Nazaire et Nantes, rencontrant sur son chemin de fugitive des inconnus qui sont autant d’opportunités pour elle de jouer parce que le « terrain » s’y propose : un ticket à gratter dans un PMU, un jeu de fléchettes dans un bistrot, un bowling, un match de foot sur un terrain vague… Tous les prétextes sont bons pour ne pas rentrer chez elle, ne plus rentrer chez elle. Et l’on saisit l’obsession, incontrôlable, pour le jeu, quel qu’il soit. Alors si au début elle suscite la méfiance, Maud fascine assez rapidement, pour finalement dérouter son public par ce qu’il tend à cerner comme dérangeant : comment une adulte peut-elle presque être dépossédée d’elle-même alors que « ça n’est qu’un jeu » ? Qui est ce « JE » dans le « JEU » ?

« J’ai eu envie, plus qu’une envie cette fois, un besoin urgent, vital. Jouer me calmerait. Je savais que ça marchait. Jouer ferait disparaître mon problème, le temps qu’il me fallait. » (p.26)

Le roman s’achève sur ce qui aurait pu être une « boutade ludique ». Mais parce que Maud n’a jamais plaisanté en matière de jeu et qu’elle jouera malgré tout, contre tout et contre tous, elle lance les dés au péril de sa vie : et advienne que pourra.

Ce troisième roman de Victor Jestin, auteur ligérien que j’affectionne particulièrement, m’a plu, notamment par sa construction narrative resserrée (trois jours et trois nuits) menés tambour battant. Le fait que le personnage de Maud se laisse aller au gré des rencontres pour mieux retarder le retour au foyer conjugal n’a pas laissé de me questionner : est-ce là l’enfant fautif qui redoute de rentrer chez lui parce qu’il a fait une bêtise ? N’y a-il pas dans cette réticence autre chose qui se « joue » ? J’ai pu trouver improbables les 60 kilomètres avalés en quelques heures pendant la nuit et le faible besoin du personnage à dormir alors qu’elle enchaîne les parties de toutes sortes. Mais sans doute est-ce là l’effet de l’adrénaline du jeu : une addiction certaine. L’enfer du jeu, qu’il soit diurne ou nocturne, n’est pas un mythe : Victor Jestin démontre que la dépendance à ces univers fictifs et ludiques est une évidente échappée vers un ailleurs, sans doute illusoire mais tellement réconfortant pour qui se prête… au jeu.

« je trompais plus large, plus gros, quelque chose que je peinais à nommer. » (p.88)

La mauvaise joueuse, Victor JESTIN, éditions FLAMMARION, 2025, 148 pages, 18€.

1 réflexion au sujet de “« La mauvaise joueuse », Victor Jestin : attrape-moi si tu peux…”

  1. Je ne connais pas cet auteur, mais je te fais confiance, ainsi qu’à ton analyse !
    Comment et jusqu’où cette addiction au jeu peut-elle transformer une personne ?
    PAL directement !
    Merci à toi et bonne rentrée littéraire !😉

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