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« Inconnue », Chirine Sheybani : mots à maux

Joie immense de retrouver pour cette rentrée littéraire 2025 Chirine Sheybani, écrivaine que j’affectionne particulièrement pour la force de ses thématiques, telles la maternité ou le couple. Avec des phrases lapidaires et nombre de retours à la ligne qui suggèrent la polyphonie narrative (SA signature littéraire), Chirine Sheybani signe cette année un texte nimbé de mystère, au dénouement inattendu car à rebours de ce que l’on pouvait imaginer.

Ainsi, une jeune femme est retrouvée en train d’errer la nuit, en montagne et au beau milieu d’une tempête. Sans sac à main, débraillée, une chaussure en moins, elle semble hagarde : de fait, elle ne se rappelle plus de rien. L’amnésie semble totale.

Le service psychiatrique de l’hôpital suisse dans lequel elle est amenée lui fait subir une batterie de tests qui ne révèlent rien d’anormal. Mais alors comment expliquer cette perte de mémoire ? Violent choc émotionnel ? Traumatisme ?

« Parfois, on réussit. Mais l’esprit qui se ferme. L’esprit qui se cloisonne. Qui refuse qu’on le pénètre. Que pouvons-nous faire ? » (p.96)

« Son propre esprit, pour une raison inconnue, se retourne contre elle. Refuse de lui donner la moindre information. Elle se demande ce qui lui est arrivé. Ce qu’elle a peut-être fait pour qu’il se ferme. Une immensité vertigineuse à laquelle elle n’a plus accès. Elle comprend. » (p.99)

Chirine Sheybani excelle à suggérer l’intensité grandissante des souvenirs qui affleurent sous la forme d’indices, sans forcément se révéler tout à fait. Frustrant pour la victime, mais hautement poétique pourtant.

Dans le même temps, on vient signaler la disparition étrange d’un colocataire, épris de la montagne et de la liberté d’escapades improvisées.

Y a-t-il un lien entre l’amnésie de cette inconnue et ce jeune homme envolé ? L’épaisseur narrative se tend au-fur-et-à-mesure des courts chapitres, le style jusque-là lapidaire s’étoffant en une logorrhée explicative qui annonce le drame sans pour autant en révéler le twist final.

Il se passe au final bien peu de choses dans ce roman, mais Chirine Sheybani capte les instants dans ce qu’ils ont de plus signifiants malgré l’apparente banalité de ce qui peut apparaître comme un fait divers. Et, de l’ordinaire, peut jaillir le cauchemardesque…

« Elle est désespérée et ce désespoir la réduit, oui, la réduit. » (p.109)

Ainsi, tout se passe comme si l’identité oubliée de la jeune femme symbolisait ce qui lui a été ôté dans son proche passé : son humanité de femme, sa dignité d’être aimant digne d’être aimée. L’oubli des maux par l’effacement involontaire des mots…

Inconnue, Chirine SHEYBANI, éditions COUSU MOUCHE, 2025, 159 pages, 20€.

Un immense merci aux éditions Cousu Mouche pour le service presse et à Chirine Sheybani pour ton attention particulière.

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