
Rose est au mitan de sa vie. A cinquante ans, elle est une « Madame tout le monde », confondante de banalité : un mariage, deux enfants, un divorce, des aventures, un travail plaisant sans être passionnant…
Les illusions ? Elle en est revenue. Ses enfants l’appellent deux ou trois fois l’année tout au plus. Les hommes, des figurants, des ombres de passage guère satisfaisants. Alors, presque chaque soir maintenant, elle se laisse aller à quelques verres au Royal, rade sans prétention d’une bourgade du Grand Est. Tromper l’ennui à grands coups de demis…
Mais un soir, elle y rencontre Luc, de façon tout à fait fortuite. Elle ose croire en sa chance, car les signes ne trompent pas : une alchimie évidente, une connivence éclatante. Si la peur des débuts et des ratages passés la tenaille au ventre, Rose s’élance pourtant. Il faut dire que Luc et elle partagent le goût des bonnes bouteilles : l’alcool aidant, il est plus aisé d’oser.
« Mais à présent que les familles volaient tôt en éclats et que la vie s’allongeait interminablement, la cinquantaine prenait aussi l’aspect d’une autre adolescence. Luc et Rose en étaient là, à se dévisager, ne sachant que faire de ce nouvel âge de la maladresse. Ils s’en méfiaient, le bonheur n’entrant pas dans leurs habitudes. » (p.39)
Seule l’intimité ne bénéficie pas du même allant. Et gare à Rose si elle ose se plaindre : Luc est de ceux qui se drapent de leur virilité toute en clichés, qu’on se le dise. Belle voiture, somptueuse maison et un porte-feuille bien garni de biftons.
Consciente qu’elle tient là peut-être sa dernière chance d’être heureuse en couple, Rose tait les signaux qui la font douter. Sacrifice conscient ou aveuglement ignoré ? Notre héroïne se leurre dans l’idée qu’à tout moment elle pourra fuir la prison dorée que Luc a petit à petit érigé autour d’elle : certes elle a des atouts dans sa manche, mais ne sous-estimerait-elle pas son partenaire – adversaire ?
« Il lui faisait sentir qu’elle ne tenait qu’à un fil. Sa dépendance était telle, elle se trouvait si loin dans la servitude désormais, qu’un mot suffisait pour la renvoyer au néant. » (p.69) « Elle ne pouvait s’imaginer sans lui et s’en voulait de ne pouvoir résoudre cette équation de la détestation et de l’attachement. » (p.73)
Dans cette passionnante novella, Nicolas Mathieu s’attaque aux mécanismes de l’emprise au sein d’un couple. Au délitement de l’âge, de la vie, de l’usure du couple et des désillusions, il tente de faire briller l’espoir en une héroïne attachante d’humanité… même si elle témoigne, à plusieurs reprises, d’un redoutable détachement qui force l’admiration. La violence affleure, muette mais vivante, ne demandant qu’à être lâchée pour tout torpiller. Un spectre traumatique redouté par Rose, qui ose espérer que les schémas anciens ne se répètent pas.
« Depuis qu’elle était gamine, elle devait composer avec ça, leurs coups de sang, leur violence toujours possible, leur despotisme buté, le la que donnait l’humeur des hommes aux vies des familles. » (p.47)
Mais ne sommes-nous pas destinés à revivre les pièges qui jalonnent notre chemin ? Rose est une femme qui ose se draper dans une dignité… quasi royale et surtout loyale à son idéal, même lorsque le déchéance semble l’attirer par sa troublante et déconcertante facilité.
A bien des égards, on aurait presque là une Gervaise des temps modernes. J’ai par le passé qualifié l’écriture de Nicolas Mathieu de zolienne : je persiste et je signe.
Une pépite noire. Une rose pourpre, drapée dans une robe écarlate…
Rose Royal, Nicolas MATHIEU, Les éditions IN8, 2019, 77 pages, 8.90€.

Un auteur que j’apprécie beaucoup, notamment pour son livre Connemara ! (je crois qu’un film va en être tiré).
Il sait si bien décrire ses personnages et le milieu dans lequel ils vivent.
Merci pour ton analyse !
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« Connemara » est sorti en septembre : pas eu le temps d’aller le voir, mais j’ai bon espoir de le voir rapidement dès qu’il sera à la TV.
Du très bon Nicolas Mathieu, avec un récit court 🙂
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