A croquer

« La reine des abeilles », Gill Hornby : « beeeesbilles »

Lecture plus légère avec La reine des abeilles, roman anglais qui nous plonge dans une province tranquille dont le cadre quasi-unique sera Saint Ambrose, l’école plutôt sélect que chérit pour leurs enfants une communauté de mamans investies.

A leur tête, leur présidente, Bea Stuart. Une reine incarnée, tendance despote : rien ne doit contredire sa volonté, forcément souveraine. Autour d’elles, les « ouvrières », agglutinées pour quémander une faveur, souvent celle, pathétique, d’espérer « en être » : courir avec Bea, œuvrer pour l’école sous la férule de Bea, recevoir un compliment de Bea, être invitée par Bea…

« Malgré tout, Bea était extraordinaire. Même lorsqu’elle leur attribuait des corvées ingrates et assommantes, ces femmes lui en étaient sincèrement reconnaissantes. Quand elle détaillait ses projets, lançait des ordres, voyait grand, déplaçait des montagnes, elle était dans son élément. Bea était faite comme ça, tout simplement. » (p.16)

Mais la reine a aussi ses ennemies, peu crédules quand à la manipulation éhontée dont elle fait preuve. D’où une galerie de personnages attachants : Rachel, récemment divorcée et peinant à relever ce qu’il reste de sa famille ; Georgie, comblée par ses nombreux rejetons et le joyeux bordel qui règne dans sa maison, n’en déplaise aux maniaques du ménage ; Heather, désespérée de son éternel décalage avec les autres…

Et le roman de démontrer que les mécanismes qui régissent les groupes de jeunes, aussi cruels puissent-ils être, sont similaires lorsqu’ils s’appliquent aux adultes : les populaires VS les impopulaires, assumés ou désespérés. Un microcosme aux règles tyranniques, dont la légitimité n’est même pas forcément prouvée. La cour d’école n’est définitivement pas que pour les enfants : leurs parents s’y roulent allègrement, entre envie, rivalité et jalousie.

On s’agace ainsi de compter les nombreux exemples lors desquels Bea use et abuse de son pouvoir ; on tremble lorsque l’on perçoit que la douce Heather renonce à sa dignité pour mieux servir la reine ; on trépigne d’impatience lorsque l’on devine qu’une chute royale est possible (et somme toute espérée) : « La reine est morte ; vive la reine ! »

« La vie sociale de Bea avait toujours ressemblé à un kaléidoscope : des gens qu’on n’avait jamais remarqués auparavant émergeaient de l’ombre, brillaient sous les spots, tournoyaient dans la lueur dorée de l’amitié de Bea. Jusqu’à ce qu’un événement quelconque les fasse basculer à nouveau dans l’obscurité, légèrement sonnés, en se demandant ce qu’ils avaient fait de mal. » (p.130)

Le récit épingle au passage les injonctions faites aux mères pour prétendre à la perfection : ainsi, en mettant à mal la bulle idyllique que Bea s’est construite à grand renfort d’artifices, le texte se fait apologie de ces femmes et mères imparfaites, malmenées par des démons intérieurs ou des considérations personnelles. Et nous jubilons de ces nombreux passages dans le roman qui érigent l’artificialité sociale de relations convenues entre les mamans, sommées d’afficher un vernis qui n’a d’étincelant que la surface. La mise en scène est de rigueur pourtant : Bea officie dans la mise en scène de la théâtralité d’un spectacle auquel ses comédiennes, forcées d’y jouer (vraiment ?), ne croient pas vraiment.

« Bea contrôle tout. C’est son identité. Son « ça ». L’essence de son être-Bea. Elle est La Femme Qui Contrôle Tout. Tout. Donc, si elle ne contrôle pas tout, est-elle encore Bea ? Hein ? » (p.136)

La reine des abeilles constitue un moment de lecture agréable. Néanmoins, on regrettera la répétition des motifs, parfois l’incongruité des enchaînements d’un personnage à l’autre sans que la transition ne soit ni explicite ni cohérente. Le dénouement est prévisible, dans la mesure où le roman n’est pas avare en clichés ; mais, heureusement, la qualité d’écriture sauve totalement l’ensemble.

« A elles toutes, grâce à cet entrelacement, à ce treillage d’amitiés, elles avaient bâti une fondation solide pour leurs enfants, qui assurerait leur sécurité ; un châssis bien accroché qui leur permettrait de pousser. » (p.308)

PS : Pssssst ! Entre nous, on a toutes une « Bea », dans notre sphère privée ou sociale, pour régenter le monde (son monde ?). Alors, allez-y vous aussi de votre piquant pour dégonfler un ballon peut-être au final juste rempli d’air… vide.


La reine des abeilles, Gill HORNBY, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Denyse Beaulieu, éditions J’AI LU, 2014, 383 pages, 4.95€.

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