A dévorer !

« Voltiges », Valérie Tong Cuong : sur le fil

Edouard Bauer, dit Eddy, s’est construit une solide réputation d’homme flamboyant à qui tout sourit. Héritier quasi-unique d’un empire solide, il n’a pendant des années pas ménagé sa peine, ses heures et sa ténacité pour offrir à son épouse Nora et sa fille Leni un cocon doré, dans lequel l’argent n’est qu’un détail. Mais le puissant homme d’affaires est trahi par son associé, et la ruine menace : toute la fortune accumulée au prix de renoncements et de moments en famille sacrifiés périclite.

« Ces quinze années ont filé dans un souffle, une longue traversée en apnée, oppressante, exigeante et néanmoins gratifiante car au bout du compte il a franchi tous les obstacles, négocié tous les virages, atteint ses objectifs. » (p.27)

Afin de garder la face, Eddie tente de relancer ses affaires en solo, depuis sa luxueuse demeure. Mais tant pour lui que pour Nora et Leni, habituées à vivre en duo, la cohabitation s’avère difficile : Eddie ne peut s’empêcher d’exprimer sa hargne d’homme déçu et trompé dans des remarques acerbes qui ternissent le doux quotidien qui était celui de la mère et de la fille.

« Que restera-t-il du mari et du père supposé puissant et protecteur ? » (p.35)

Le plus compliqué est surtout de faire comprendre à Leni, adolescente surdouée dans sa technique du tumbling, qu’il ne pourra plus être l’homme providentiel et financer à grands dons de liasses de billets ses compétitions et ses championnats. Leni, petite célébrité locale promise à un brillant avenir de gymnaste, ne comprend plus ce père devenu un étranger hostile. Heureusement, elle peut compter sur le soutien fidèle de sa mère et de son entraîneur, Jonah.

Mais quand la cellule familiale commence à se fissurer sérieusement et la souplesse de vie d’antan de se réduire à un carcan figé, hostile, menaçant, il devient compliqué pour chacun des membres de la famille d’avancer davantage. Et la liberté des uns et des autres de se réduire, et les protagonistes d’étouffer dans cette atmosphère oppressante… jusqu’au grand coup de vent final, qui rebat toutes les cartes. Inattendu, périlleux et franchement émouvant.

« Comment a-t-elle pu passer, en l’espace de trois ans, d’une vie heureuse, joyeuse, à cette sensation terrifiante de malheur et d’enfermement ? » (p.102)

Ainsi, sous couvert de protéger les siens, n’est-ce pas notre propre personne parfois que nous mettons en danger ? Quel sens donner aux sacrifices auxquels on peut soumettre notre vie entière ? Valérie Tong Cuong sonde la cellule familiale, ses besoins et ses désirs, avec une acuité qui est sa signature littéraire.


Voltiges, Valérie TONG CUONG, éditions FOLIO, 2024, 253 pages, 8.50 euros.

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