A dévorer !

« A croquer », Anne-Fleur Multon : meute dévorante

Marie-Maud a un prénom de jeune fille sage. On ne saurait dire le contraire, elle l’élève modèle, discrète et habituée à la modestie de sa douce vie dans la campagne reculée, qu’elle regarde avec une certaine honte. Marie-Maude, dite M-M, fait partie de ces personnes transparentes, que l’on ne remarque pas, que l’on oublie très vite.

Alors, en ce jour de rentrée, Marie-Maud décide de casser cette image qui lui colle à la peau : elle est transparente, mais elle veut qu’on la voie. Alors, savamment cachées derrière des bottes de foin de la ferme, elle sort cuissardes et robe chemise. A son arrivée, stupeur : tous les yeux sont braqués sur elle… et en particulier ceux de Pierre, le requin du lycée, tombeur sans pitié qui consomme et qui jette. Il l’a vue. Il l’aura.

L’audace de Marie-Maud est payante, mais elle peut aussi compter, pour être remarquée, sur son profil de très bonne élève, en particulier dans le cours sur les humanités dispensé par un professeur atypique. Qui voit en elle l’excellence, la culture. Une pépite qui s’ignore, mais dont il s’emploie personnellement à parfaire l’éducation.

Bref, Marie-Maud est à croquer. Mais autour d’elle rôdent des loups aux dents acérées, qui n’ont pas de pitié, qui usent et abusent de sa candeur… pour mieux la dévorer. Jusqu’au geste de trop, laissant au creux du ventre de la jeune fille un trou béant : qui sont ces prédateurs à l’apparence policée qui se livreraient sans hésiter à une curée anti-féministe ? Marie-Maud n’est que l’énième victime d’une longue liste de femmes et jeunes filles abîmées, souvent muselées aussi, par les hommes. Des bêtes insoupçonnées et souvent insoupçonnables, pourtant résolument coupables.

Mais il n’est jamais trop tard pour montrer les crocs à son tour, gronder, se hérisser : Marie-Maud peut prétendre faire exister la louve qui est en elle.

Récit d’une initiation, d’un réveil et d’une rédemption, A croquer se dévore littéralement, car haletant et saisissant. Le portrait de Marie-Maud reste dans l’esprit : à travers cette jeune fille éprise de reconnaissance, tant d’adolescentes qui se brûlent les ailes. On notera la mise en page atypique mais résolument géniale, qui sert le propos du texte avec une ingéniosité remarquable. Pépite féministe en diable.


A croquer, Anne-Fleur MULTON, éditions THIERRY MAGNIER, collection L’ardeur, 2025, 399 pages, 17.90€.

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