A 16 ans et demi, Juliette Couturier, brillante lycéenne un peu taiseuse, découvre qu’elle attend un enfant. Cette grossesse, passée complètement inaperçue pendant plus de six mois à Juliette elle-même et à son entourage, est le fruit de ses amours avec Tom, un jeune homme australien de passage en ville chez les parents d’une proche amie quelques mois durant.
C’est un choc indescriptible pour Juliette et sa famille : pour sa mère Nina, d’origine polonaise, il est inconcevable que sa fille garde ce bébé. Après tout, elle n’a pas sacrifié sa vie à trimer comme une bête de somme pour que Juliette flingue son propre avenir ! Pour la jeune fille, ces propos ne sont acceptables : elle fuit le domicile familial et se réfugie chez sa grand-mère, figure bienveillante et empreinte d’une neutralité voulue.
« Maman hurle que je me suis comportée comme une pute. Elle, elle a donné naissance à une pute. […] Après, elle hurle tous ces mots en polonais que je ne veux pas entendre et, en moi, ça se déchire. Je ne parviens pas à penser, je regarde la route, vide à l’intérieur, si vide, sauf qu’au fond, ton cœur bat contre ma colonne, collé, tout collé. » (p.34-35)
Juliette dispose de bien peu de temps pour digérer la nouvelle et vivre une grossesse de même pas deux mois : elle arrête le lycée pour étudier à son rythme chez Mamy, voit régulièrement psy et médecin.
Pour exorciser ses peurs, nombreuses, Juliette décide d’écrire une longue lettre au bébé : Bluebird, surnom donné à l’adolescence par le père du bébé, est une missive touchante destinée à l’enfant à naître. Une déclaration – d’attention, d’affection, d’amour ? – pour pondérer l’effroyable dilemme auquel Juliette est confrontée : gardera-t-elle le bébé ? l’abandonnera-t-elle ? peut-elle être une mère à seize ans et demi ? comment être mère si sa propre mère blâme son choix ?
« Je ne sais pas. Les semaines avancent et je ne sais toujours pas. Est-ce que ça suffit d’avancer ensemble sans savoir où l’on va ? Est-ce que c’est suffisant s’il y a l’amour ? Qui peut vraiment savoir où il va ? Si c’est juste ? Personne. » (p.110)
Alors, la lettre destinée au bébé devient hommage aux figures maternelles intergénérationnelles (Mamy, Nina, Juliette (?)) et universelles (on notera l’impressionnante figure de la mère-courage incarnée par Yvette, la voisine d’origine africaine de Mamy) : si les hommes – et encore plus les pères – sont réduits à des êtres de passage dans le récit, c’est pour mieux célébrer la femme, et surtout la mère, devenue seule maîtresse à bord par un destin souvent malheureux. Qu’importe ses failles, ses faiblesses, ses erreurs : seul compte l’amour, le vrai don qu’une mère puisse faire à son enfant.
« elle sait tant de choses, Mamy, et, tout à coup, j’ai pensé à Maman que j’ai éloignée un max depuis des semaines pour décider par moi-même et je n’y suis pas arrivée, je n’y arrive pas, je crois que je n’y arriverai jamais de toute façon, et Maman est revenue dans ma tête, plus comme une ennemie, mais comme quelqu’un qui m’a portée dès le début, qui me connaît mieux que personne » (p.150)
Bluebird est un roman d’une grande délicatesse, que l’on referme avec émotion en se retrouvant confronté à notre propre rapport à la maternité : celle qui nous a donné la vie, celle que l’on donne à notre tour ou que l’on donnera peut-être un jour…
Bluebird, Geneviève DAMAS, éditions Gallimard, 2019, 154 pages, 14.50€.
Très particulière cette démarche sur ce sujet (qui est malheureusement courant chez ces jeunes ados, futures mères…) Je crois ressentir beaucoup d’émotions et de déchirements dans ce livre !!! Je l’ajoute à ma liste 🙂
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Le dénouement surtout m’a serré le coeur… Un récit très très fort, qui me bouleverse encore rien que de l’évoquer…
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