
Nous sommes en 1927. La très jeune Annie, dix-huit ans, épouse Carl, étudiant de vingt ans nourrissant l’ambition de devenir un homme de loi. Ce mariage se fait contre la volonté de leurs parents respectifs. Qu’importe, Annie et Carl s’aiment : dans leur innocence et la foi immense en leur amour, ils sont convaincus de leur force à surmonter les difficultés sur leur chemin.
Et des difficultés, il y en a : le tout jeune couple peine à joindre les deux bouts, malgré le zèle déployé par Carl pour subvenir aux besoins de son épouse. En plus de ses études, il tente de cumuler plusieurs petits boulots.
« Comment vivre avec cinq dollars par semaine et dans une seule pièce ? Même s’ils y arrivaient, cela ne tournerait pas toujours rond. » (p.86)
Annie, quant à elle, se rêve étudiante à l’université : adorant écrire, elle tente d’assouvir sa passion en se faufilant discrètement derrière une porte de classe pour suivre les cours de littérature.
« Le cours prit fin, trop vite à son gré. Quand le professeur vint lui dire son espoir de la voir assister à tous les cours, Annie, éperdue de bonheur, ne sut que balbutier de vagues remerciements. » (p.145)
Annie et Carl peuvent compter sur l’empathie du doyen, de leur propriétaire, ou encore de l’épicier. La fraîcheur de la jeune fille a souvent raison des réticences des fâcheux. Les épreuves rencontrées mettent parfois à rude épreuve la bonne entente du couple, mais l’optimisme reste de mise.
« j’ai le sentiment que quelque chose de merveilleux se produira avant que notre argent soit épuisé. C’est un sentiment très rassurant. Cesse donc de te faire du souci. » (p.184)
La joie du matin est la chronique des débuts balbutiants d’un jeune couple en prise avec les réalités de la vie quotidienne. Il convient de passer outre la grande naïveté d’Annie, parfois agaçante de tant de candeur. Elle-même est consciente de son statut de petite oie blanche, mais sans doute devons-nous resituer l’action dans le contexte des années 20, où la femme dépend absolument de son mari, ne bénéficiant d’aucun droit.
« Je ne devrais pas l’encourager ainsi à écrire des pièces de théâtre, pensa-t-il. C’est un moyen de perdre sa femme. Et puis, il eut honte de cette pensée. » (p.213)
« C’est toi qui as la vie devant toi. La vie d’un homme de loi. Ce sera une nouvelle vie – différente de celle-ci. Mais ma vie est toute tracée : ce sera la maison, les enfants… un livre à lire de temps à autre… Veux-tu du café ou du thé glacé ? » (p.298)
La dimension patriarcale est évidente dans le récit, mais le désir d’émancipation d’Annie en étudiant est remarquable et annonciateur d’un certain souffle féministe.
« Elle a l’air si simple, et en même temps si enfantine quelquefois. Mais il y a quelque part en elle une barre d’acier. » (p.302)
Betty Smith croque la fraîcheur de jeunes gens promis à un sage avenir. Derrière le destin de ce couple se dessine un arrière-plan social intéressant, à quelques années à peine de la Grande Dépression.
Un récit charmant, même si on passera outre la monotonie de scènes répétitives et l’agaçante candeur d’Annie sur nombre de pages.
La joie du matin, Betty SMITH, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gisèle Bernier, 1963 pour l’édition originale, 2019 pour l’actuelle édition, éditions 10/18, 383 pages, 8.20€.