
Lilas avait tout pour être heureuse, tout. Maxime, son mari brillant, talentueux et attentionné. La petite Zélie, quatre mois, adorable bébé malgré ses pleurs continuels. Il fallait bien cela à Lilas pour avancer dans sa vie d’adulte, faire le deuil de ce père parti trop vite et fuir l’indifférence méprisante de sa mère à son égard. Alors, quasiment dès leur rencontre, Maxime a été son tout, son oxygène, son salut. Un empressement immédiat à embrasser la vie à deux.
Mais cette nuit-là, alors qu’enfin Lilas s’est assoupie après tant de nuits sans sommeil, Maxime ne rentre pas de la soirée chez un collègue à laquelle il a amené avec lui Zélie. Étrange, car pas du tout son genre. Lilas panique : où est-il ? qu’a-t-il fait du bébé ?
« Comment pouvais-je douter d’un homme qui partageait ma vie depuis sept ans, comment pouvais-je d’un seul coup oser le considérer comme un inconnu au comportement imprévisible ? » (p.54)
Médias et police s’emparent de l’affaire pour jouer contre la montre. Mais alors que la machine médiatique s’emballe, c’est Lilas qui entreprend de déballer sa vérité, insoupçonnée et insoupçonnable. Est-elle coupable d’avoir aimé trop fort ou victime de ne pas avoir aimé assez ? Qui peut comprendre, deviner une seule seconde ce que cache l’intimité d’une famille ?
« J’avais enduré tellement de choses, depuis sept ans. Tellement de choses… Même si personne n’avait jamais rien vu, rien entendu, rien compris. » (p.112)
« Personne ne peut comprendre sans juger, jamais. On croit pouvoir écouter les autres de façon impartiale, mais c’est faux. On juge, toujours. Même si on voudrait ne pas le faire, on n’y parvient pas. On approuve ou on désapprouve, on félicite ou on condamne, on absout ou on lynche. Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs ou des naïfs. » (p.223-224)
Il m’est impossible d’en dire plus, et je fais même le choix de censurer les hashtags attribués à ce roman, car ils dévoileraient immédiatement les ressorts – terribles – du récit. Amélie Antoine signe un texte incandescent où se consume une héroïne dans le feu de l’amour (filial – matrimonial – maternel). Les mécanismes de l’emprise (je reste volontairement floue quant à son identification précise) y sont révélés les uns après les autres, et l’horreur d’apparaître, évidente, glaçante, traumatisante. L’écrivaine ménage également ses ressorts dramatiques jusqu’à la fin, dans des retournements inattendus (mais très bien vus) et éprouvants pour notre cœur de lecteurs. Ainsi, Pourquoi tu pleures ? est une question employée à plusieurs reprises dans le récit, adressée à différents personnages, et qui permet de multiplier les niveaux de lecture comme les fils narratifs du texte. Le roman n’est pas tant un récit policier qu’une enquête anthropologique sur les femmes et la complexité de leur identité kaléidoscopique (fille – épouse – mère…). Quelles sont les limites de ce que l’on attend d’elles face à leur capacité à « tout » supporter ? De la résilience au sacrifice, quel est le pas de trop qui fait sombrer dans la tragédie ?
« il ne s’agissait que de l’histoire d’une femme égarée qui avait cru pouvoir faire disparaître une douleur indicible » (p.146)
Pourquoi tu pleures ? Amélie ANTOINE, éditions LE MUSCADIER noir, 2023, 282 pages, 19.50€.
