A goûter

« Accrochages », Charlotte Mendelson : fil tendu

Branle-bas de combat dans la famille Hanrahan : en ce froid début du mois de février londonien 2010, Ray, le patriarche, a décidé de lancer une nouvelle exposition, lui qui n’a pas fait parler de lui depuis des années mais compte encore sur sa réputation et son aura. Il est nourri dans son leurre par Leah, l’une de ses filles et plus fidèles supportrices : rien ne saurait contrarier les désirs de son papa… Alors avec lui, elle fait front contre l’adversité des uns et des autres. Car, chacun doit le savoir, seul Ray compte.

« C’est un pari un peu risqué de compter autant sur cette exposition pour tout arranger dans sa vie. » (p.24)

« Le pouvoir de Ray, la crainte de le contrarier sont comme un sortilège impossible à rompre. » (p.176)

A ce monstre d’égoïsme, de mégalomanie et de misanthropie s’oppose Jess, son autre fille, partie vivre loin de cette famille qu’elle juge toxique à Édimbourg. Mais, empêtrée dans une relation de couple qui ne lui convient guère et prise au piège par les aléas de l’amour, elle a aussi fort à faire. Patrick, le beau-fils de Ray, est quant à lui éternellement mis sur la touche par l’artiste. Méprisé, humilié, sous-estimé, il est broyé par la méchanceté de ce second père qui n’agit pas comme tel. Pourtant, il n’a de cesse de vouloir briller à ses yeux. Vaine tentative… Enfin, il y a Lucia, l’épouse sacrifiée de Ray, martyre conjugale incarnée : toute sa vie durant, au détriment de l’amour pour et de ses enfants, au détriment de sa propre carrière d’artiste, en dépit de la longue maladie qui lui a fauché un sein, elle s’est effacée pour mieux se complaire aux désirs de son mari. Ne surtout pas le contrarier. En aucun cas le contredire. Une sujétion assumée, irraisonnée, souvent honteuse.

« Elle n’est pas dénuée d’ambition. Avant, c’était son unique secret. En préserver Ray, s’assurer qu’il demeure confiant, sans fureur, a été l’œuvre de sa vie » (p.15)

Mais en ce début d’année 2010, les perspectives semblent changer pour Lucia, tant personnellement que professionnellement. Alors, lorsqu’elle doit faire coïncider le raout artistique organisé pour son mari avec ses propres considérations, qui enfin peuvent la rendre heureuse, Lucia hésite, car confrontée à un sacré dilemme : quels intérêts va-t-elle servir ? Peut-elle s’affranchir du joug conjugal qui la musèle sans aucune considération ? Peut-elle revendiquer ses choix propres ?

« Telle une révolutionnaire cachant une bombe sous son manteau, elle fait entrer le désastre. » (p.107)

En un chassé-croisé narratif au début déroutant, Charlotte Mendelson livre le portrait d’une famille nucléaire au bord de l’explosion. L’accrochage artistique (sera-ce un succès éclatant, cher Ray ?) est aussi celui des considérations des protagonistes entre eux, et ils sont nombreux, tus. A chacun de faire éclater sa voix et d’assumer ses choix. Entre illusions nourries et aspirations authentiques, à quel quel fil (suffisamment solide) accroche-t-on nos aspirations et nos réalisations ?


Accrochages, Charlotte MENDELSON, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Caroline Bouet, éditions LES ESCALES, 2023, 364 pages, 22.50€.

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