A dévorer !

« L’âge d’or », Renée Rosen : splendeur et décadence

En 1876 à New York, le beau monde est régenté, dans ses us et coutumes du paraître et du bon goût, par Caroline Astor, la reine proclamée devant laquelle tous s’inclinent, que ce soit lors des opulents dîners ou des fastueux bals qu’elle organise, que ce soit dans son hôtel particulier à New-York ou à sa résidence secondaire à Newport, station balnéaire dorée des gens comme il faut. Une seule règle prévaut : le bon goût et l’étiquette.

Beaucoup se damneraient pour en être, et en particulier les nouveaux riches qui ont fait fortune dans l’industrie. Mais Caroline et les siens verrouillent l’accès à leur monde d’ultra-privilégiés : on ne saurait mélanger les parvenus aux sangs purs ! Pourtant, Mme Astor doit bel et bien prendre conscience que le monde de cette fin du XIXeme siècle est en pleine (r)évolution et que le socle figé sur lequel elle a constitué son empire voit ses fondations trembler.

En premier lieu, son cœur de femme et de maman, formaté par l’éducation rigide et surannée d’une mère elle-même figée dans son carcan de noblesse, est mis à rude épreuve lorsque ses filles réclament des mariages de passion plutôt que des mariages de raison, comme il est normalement de bon ton de procéder en général dans ce milieu. Grève de la faim, tentative pour s’enfuir et compromettre l’union… tout est bon pour éprouver la volonté inflexible des Astor.

« Elle n’était pas prête au changement. Elle n’en voulait pas, elle ne savait plus quoi en faire. Ce qu’elle désirait désormais, c’était la stabilité. Que surtout rien ne change. Elle s’efforçait chaque jour de se cramponner à ce qui avait fait ses preuves, ce sur quoi elle pouvait compter. » (p.172)

En second lieu, Caroline Astor voit une menace se lever progressivement en la personne d’Alva Vanderbilt, jeune parvenue riche des millions de l’industrie des chemins de fer de la famille de son mari. Alva désespère être admise dans le cénacle astorien, seulement ouvert aux « happy few ». Alors, son pari est de défier la reine sur son propre terrain : constructions démesurées, bals insensés… Rien ne sera de trop pour mieux rivaliser avec Madame Astor.

« Nous sommes les nouveaux riches. L’argent neuf, l’ennemi des vieilles familles new-yorkaises, ces insupportables mais non moins enviables snobs baptisés les Knickerbockers. » (p.15)

« Non, Alva brillerait auprès de Mrs Astor comme n’importe quelle dame de la haute société. Elle lui ferait miroiter ce qu’elle pourrait apporter au monde et lui démontrerait que les fortunes du chemin de fer n’étaient pas toutes mauvaises. » (p.87)

La société assiste au duel qui progressivement se met en place et, malléable et de peu de force, se range là où le vent souffle. Mais c’est une tempête à laquelle tant Caroline Astor qu’Alva Vanderbilt doivent se préparer : chacune voit ses propres repères et croyances bouleversés par une avancée des modes et des mentalités face auxquelles il semble inutile de vouloir batailler. Et si ces deux femmes menaient finalement un même combat en ces temps qui changent ?

« Plus Mrs Astor s’efforçait de maintenir la césure entre les deux mondes, plus des femmes telles qu’Alva s’ingéniaient à les rapprocher. Ils tendaient ainsi à former un seul corps, une haute société unie contre les masses grondantes et hostiles. » (p.316)

L’âge d’or est un roman passionnant, basé sur une solide documentation qui permet de se plonger dans le faste de la grande bourgeoisie américaine de la fin du XIXe siècle avant que ne viennent à se mêler « aristocratie des origines » et bourgeoisie d’affaires. Bien évidemment, une part du récit est étoffée par l’imagination de Renée Rosen, mais force est de constater que l’on y croit. L’écrivaine livre deux très beaux portraits de femme, qui bataillent pour leurs intérêts respectifs, pas si égoïstes que cela, mais qui visent à faire rayonner un sens des valeurs propres à chacune. Des revendications féministes avant l’heure. Il est exaltant de découvrir l’envers du décor, lorsque, le rideau une fois fermé sur les agapes d’un soir, l’une ou l’autre se retrouve confrontée à l’adultère d’un mari ou le désir d’indépendance d’un enfant muselé par le « devoir » de sa naissance. Une critique évidente d’une étiquette surannée qui longtemps a régenté le beau monde dans ses droits et devoirs. Pour avancer, faut-il lutter ou accepter d’être bousculé ? Que sacrifier : son nom, son titre, son monde social, ou les siens et nos valeurs inhérentes ?

Une pépite fort appréciable que je recommande vivement !


L’âge d’or, Renée ROSEN, traduit de l’anglais (États-Unis) par Élisabeth Peellaert, éditions BELFOND, 2022, 380 pages, 21€.

Un immense merci aux éditions Belfond pour l’envoi gracieux de ce roman !

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